Mai 1968 et suites non prévues
Libérés par mes supérieurs hiérarchiques de mes obligations militaires je me retrouvai dans le civil à 25 ans. Après 18 mois de caserne dans l’infanterie à Dijon je réintégrais l’Education Nationale et c’est Versailles qui m’accueillait au sein du lycée Jules Ferry. Versailles et son prestige. Versailles et la gloire de son soleil couchant. Par un hasard favorable j’avais trouvé asile au 3ème étage d’un petit immeuble rénové dominant la place du marché et sa joyeuse animation. A ce propos j’étais gâté, car en plus de l’activité coutumière dans ce genre de lieu, avec les allées et venues bon enfant des braves gens qui viennent faire leurs emplettes et préparer le repas dominical, d’autres événements plus inattendus et perturbants venaient de se déclencher dans les parties les plus modernes de la planète. Les plus civilisées et les plus instruites comme il se doit. Mai 1968 venait d’exploser se propageant comme une traînée de poudre.
Mes faits et gestes militaires n’étant plus qu’un souvenir, je ne souhaitai qu’une chose retrouver des activités normales et me consacrer à l’enseignement. Mais voilà que la machine s’enrayait. Le lycée et son annexe où l’on m’envoyait à Buc ne fonctionnait plus. Plus personne ne savait comment tout cela allait évoluer et enfin se terminer. Du haut de mon perchoir j’attendais patiemment, observant et ne comprenant pas grand-chose aux événements « historiques » qui se déroulaient. Déjà j’avais le sentiment d’être au sein d’une crise d’adolescence un peu festive où une belle jeunesse était ravie de l’occasion de se défouler en balançant des pavés sur la gueule de c.r.s. à peine plus âgés mais qui avaient la très mauvaise idée d’être du côté des forces dites de l’ordre. Donc une séance de guignol pour de vrai.
Mais tout a une fin. Et un beau jour, lassés de brûler des véhicules qui ne leur avaient rien fait et de dresser des barricades tellement éphémères qu’il fallait sans arrêt les remettre en état, toute cette belle jeunesse, d’ailleurs pas toujours si jeune que ça et tous ces trotskystes et marxistes tendance Groucho, tous ces révolutionnaires donc, en accord avec leurs dirigeants syndicaux et soutenus par un bon peuple pour qui la rigolade avait assez duré tinrent enfin compte du simple bon sens en suivant le général de Gaulle qui sifflait la fin de la récré.
Je pus enfin redescendre de mon 3ème étage pour retrouver des activités plus coutumières et réintégrer mon poste où de jeunes élèves allaient pouvoir bénéficier de mon autorité bienveillante. Avec, bien sûr, les hésitations et les maladresses dus à un inévitable manque d’expérience. On ne devient pas un pédagogue chevronné par magie même après Mai 1968.
Donc tout allait bon an, mal an et je continuais à séjourner solitaire veillant sur ce carrefour historique de la ville royale. Mais tout a une fin et la conjoncture finit par me faire rencontrer ma future épouse sur les lieux pédagogiques. Comme moi elle était chargée de transmettre la culture à une jeunesse qu’elle savait intéresser aux trésors de la littérature. A moi les Arts Plastiques, à elle la poésie et les alexandrins. Nous nous complétions donc ce qui favorise une vie commune orientée vers les choses de l’esprit. « Métro, boulot, dodo » n’était certes pas notre devise et d’ailleurs il nous fallut peu de temps pour nous découvrir un penchant commun vers la spiritualité, d’abord par le biais de la lecture puis de façon plus concrète. La sagesse existe depuis toujours et des sages authentiques vivent encore parmi nous, tout près dans la rue et même dans le métro…Alors allons voir… Sait-on jamais…
Mais il faut vivre concrètement et se vêtir et se loger. A cet égard nous n’avions pas à nous plaindre. Les parents de Michèle encore jeunes avaient acheté un appartement dans la rue du Vieux Versailles, au sein du quartier historique entouré par le château, la cathédrale Saint Louis et la pièce d’eau des Suisses. Non loin non plus de l’escalier des Cent Marches rendu célèbre par Sacha Guitry faisant l’apologie de ces lieux chargés d’histoire dans « Si Versailles m’était conté ». C’était un peu vétuste mais plein du charme des demeures anciennes ou des traces se vie se sont accumulées créant des atmosphères étranges. Ces lieux étaient habités. Ils avaient une âme…
Mais nous ne pouvions en rester là indéfiniment. Le monde moderne nous attendait. La société de consommation avait besoin de consommateurs. C’est ainsi que nous avions décidé de venir habiter à Parly 2, première ville nouvelle et grand ensemble de résidences fleurissant autour du tout premier centre commercial, du moins en France. Enfin, cerise sur le gâteau nous avons constaté que le collège qui s’élevait sous nos fenêtres avait besoin d’un professeur d’arts plastique, dans un premier temps, puis d’une enseignante polyvalente s‘occupant de transmettre, outre l’amour des belles lettres, également les connaissances indispensables en histoire et en géographie, nécessaires à toute personne qui se souhaite cultivée et dont l’ambition ne se limite pas à inonder de S.M.S. ses copains de classe. Pour leur dire qu’il va les retrouver à la récré et qu’ils sont bien prévenus. « A bon entendeur…salut ! ».
Enfin la vie a suivi son cours, comme elle sait le faire. Notre fils est né avant de fréquenter les écoles des environs. Puis il est entré en 6ème au collège où nous étions toujours enseignants. A tel point qu’une année je l’ai eu comme élève…
Mais, depuis toujours j’avais besoin de marcher, de déambuler dans les bois des alentours qui sont nombreux et accueillants ou dans les rues de Versailles et des environs. Il m’arrivait ainsi de parcourir des lieux connus depuis longtemps et parfois oublié. C’est ainsi qu’il m’était arrivé de longer à nouveau la rue du Vieux Versailles. Elle n’avait guère changé, si ce n’est la disparition de la poissonnerie au pied de l’immeuble, le poissonnier ayant sans doute pris une retraite bien méritée, à moins qu’il ne soit mort, ce qui est bien triste mais dans l’ordre des choses. Or voilà qu’en longeant à nouveau ces lieux je constatai que l’immeuble était remplacé par un grand vide, ce qu’on appelle une « dent creuse » en langage commun. Sans doute la situation va-t-elle continuer d’évoluer et je pense me retrouver par la suite au pied d’un immeuble tout neuf avec ascenseur et chauffage central. Cela l’avenir nous le dira car je viens de prendre la décision de quitter la région pour me retirer à la campagne, en Bourgogne dans la maison où j’ai déjà rédigé un grand nombre d’articles de ce blog et où j’ai mes racines depuis mes débuts dans l’existence actuelle. Ainsi va la vie qui fera que bientôt aucun de mes articles n’aura été rédigé au Chesnay mais au grand air de la campagne et plus précisément à Sermizelles ou même de façon encore plus intime à La brosse conge qui va bientôt m’accueillir jusqu’à la fin de mes jours. Du moins je l’espère.
Le Chesnay le 7 octobre 2018
Copyright Christian Lepère