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13 septembre 2010 1 13 /09 /septembre /2010 15:53

457--Ressac-de-la-memoire-100-x-81-cm.jpg

                                                                                 "Le ressac de la mémoire" - huile sur toile - 100 x 81 cm

 

 

Le yoga du peintre

 

 

                        Au début le tyran tout puissant, centre et merveille du monde que je suis peut se bercer d’illusions. Bien que le thème d’un tableau ait surgi dans mon esprit à l’improviste, après Dieu sait quels cheminements préparatoires, je peux avoir l’impression de le décider en toute liberté.

                        Mais la réalisation commence. La main se déplace ébauchant des formes, campant un personnage, esquissant une ligne d’horizon maritime ou beauceronne suivant l’humeur. Mon libre arbitre en frémit d’aise : tout est possible et je suis le seul maître à bord. Mais voici que des doutes surviennent, des hésitations, des repentirs. La majestueuse liberté créatrice s’en trouve déjà un peu froissée. Ensuite des considérations plus banales se présentent car la scène représentée a malgré tout une certaine cohérence. Et l’on ne saurait se permettre toutes les déformations sans sombrer dans la facilité gratuite. Quitte à faire du fantastique, encore faut-il le faire crédible.

                        Petit à petit la situation va encore se complexifier car avec la mise en place des fonds va se poser le problème des couleurs. Sans doute je peux décider d’un ciel jaune citron ou pervenche, sans doute je peux me permettre de grandes libertés avec la coloration conventionnelle d’un animal ou d’une nymphe extatique emportée par un vol d’anges. Mais cependant bientôt va se poser le problème de l’harmonie, car, et n’en déplaise à Matisse et autres génies révolutionnaires, tout n’est pas possible et très vite la liberté va glisser dans le sens du n’importe quoi, étayé par la prétention de l’artiste à être la référence suprême. A moins que, et de façon plus subtile, il n’arrive à imposer ses vues en bâtissant une théorie sur mesure, plus ou moins arbitraire. Picasso, le cubisme et les fureurs des fauves en sont de merveilleux exemples

                        Donc entre le délire paranoïaque pur et dur et le délire étayé sur de nouvelles lois inventées pour la circonstance, l’ego du peintre peut toujours arriver à berner les intellectuels et autres critiques en leur faisant avaler ce qu’il souhaite. Salvador Dali connaissait parfaitement la méthode et l’a mise en œuvre de façon « géniale » à ce détail près qu’il disposait d’un réel talent et que sa maîtrise technique était à la hauteur de ses ambitions. Et puis il ne manquait ni de créativité, ni d’humour et d’auto dérision.

                        Conscient de l’extrême relativité de ma liberté, me voici donc amené à respecter les lois d’harmonie et de complémentarité existant aussi bien pour les couleurs que pour l’équilibre des formes, la répartition des masses et l’architecture générale de l’œuvre.

                        A partir de ce moment le créateur ivre d’imagination va se transformer en un patient médecin qui ne saurait se livrer à des improvisations intempestives mais doit au contraire se mettre à l’écoute du patient, avec sympathie et lucidité pour trouver l’arrangement adéquat. J’ai bien dit adéquat, pas celui qui lui plairait ou qui conviendrait à sa fantaisie. Non, celui qui répond à la situation concrète et cherche à établir un équilibre réel. La comparaison avec l’acupuncture me semble à cet égard  assez éclairante. Car si le praticien peut toujours céder à son besoin de manipuler et de se livrer à des expériences hasardeuses, il est, si il est lucide et désintéressé, amené à chercher à chaque instant « La » seule action véritablement adaptée, ce qui restreint considérablement ses possibilités de choix. Comme l’automobiliste qui va tourner son volant à droite parce que la route l’y contraint. « Oui, mais c’est délibérément que j’ai évité ce platane !  je suis donc libre comme l’enfant à qui l’on demande de choisir entre une friandise et une « bonne fessée ».

                        La métaphore médicale va maintenant pouvoir être poussée plus loin. En effet un tableau est avant tout un ensemble organique, au même titre qu’un corps humain, animal ou même végétal. Comme tel il est composé d’éléments dominants qui sont ses organes. Ceux-ci bien que dotés de fonctionnement « autonome » sont totalement relié entre eux et asservis au métabolisme général. Ils n’en font pas qu’à leur tête  et quand la maladie survient, c’est contraints et forcés par des dérèglements qu’ils trahissent l’organisme en n’accomplissant pas correctement la tâche qui leur est assignée. L’œuvre picturale est semblable car ses « organes » sont reliés par des circulations énergétiques (visuelles en l’occurrence) qui font que l’ensemble fonctionne plus ou moins bien.

                        Toute l’énergie du peintre doit donc être utilisée à assurer le fonctionnement harmonieux de l’ensemble et pour se faire il est souhaitable que lui-même soit équilibré (tant pis pour le mythe du génie torturé et syphilitique). Une bonne santé est malgré tout préférable…

                        Ainsi dans le meilleur des cas le peintre construit son tableau avec son propre équilibre et en améliorant le premier il peut éventuellement en ressentir des bénéfices pour le second. L’art en tant que yoga voilà une idée qui  ne court pas les rues, surtout à une époque ou tout un chacun n’a qu’un but : affirmer ses désirs personnels sans se soucier des effets sur les autres, en négligeant au besoin sa propre santé physique et morale. Oubliant d’élargir ses vues égocentriques l’artiste contemporain s’enferme en général dans des démarches  et des références qui lui permettent de s’affirmer pour devenir riche et célèbre, du moins dans la mesure où l’ego des autres veut bien laisser une petite place. Sinon, c’est la guerre, la lutte acharnée ou chacun au nom de sa liberté chérie et inaliénable cherche à imposer à tout prix, tel Picasso, ses propres fantasmes et ses délires les plus saugrenus sans se donner la peine de construire quelque chose d’harmonieux.                               

                                                           Le Chesnay le 16 septembre 2007

                                                               Copyright Christian Lepère

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5 septembre 2010 7 05 /09 /septembre /2010 07:01

 

312 La halte ancienne 73 x 60 cm copie

                                                                       "Halte ancienne" - huile sur toile - 73 x 60 cm

 

 

GLOIRE SAINT LAZARE

 

            Gros adipeux, grands dadais niais et petites connes en minijupes, tout ça va et vient, se croise, se bouscule. Comme si chacun à cet instant, insatisfait de son ici, s’élançait vers quelque ailleurs improbablement plus adéquat.

            Frôlement, collision, danger ! Ouf, ça passe !

            Rutilante sous un éblouissant soleil parisien la gare Saint Lazare dresse sa masse fière et ferroviaire. Noblesse de l’assise, du fondé, du « qui a fait ses preuves ». Volées  de marches et envolée du cœur. Toutes pensées anéanties, je passe. Le beau matin rayonne sur quelques « sans domicile fixe » prostrés dans leur inconfort. Sont-ils tristes ? Dieu seul le sait et ne leur en a rien dit.

            Des groupes s’agglutinent, se propagent, se disloquent. Anthropophagie d’amibes. Mais qu’en est-il de nous, pauvres egos épars parsemant la voirie ?

            Le miracle est patent. La triste bâtisse utilitaire, transfigurée par le beau temps proclame la puissance et la gloire. Dans quelle substance de rêve est-elle donc tissée cette élucubration architecturale, posée aux franges du départ, avant d’ultimes dérives vers des banlieues lointaines ? Orient mythique pour retraités.

            Sur les noms mystérieux d’un improbable ailleurs : Courbevoie, la Celles-Saint-Cloud, la Garenne-Colombes, je rêve émerveillé.

            Suis-je bien ici chez moi ? O ma belle capitale, comme tu accueilles le pauvre errant qui fend la foule, louvoyant entre les autres, tes semblables. Fripés ou pimpants, tout frais éclos, travaillés par les efflorescences printanières et les premières chaleurs, ou de retour en leur grand âge.

            Ils débarquent des rames pour poser leurs valises sur un parvis assommé de lumière. C’en est trop, de grâce ! Pourquoi cette invraisemblable richesse, ce délire gratuit, cette grâce extravagante ?

            Alors du très profond, et de la tripe aux lèvres me monte un grand merci. Par tous les diables et tous les saints, c’est bien ainsi qu’Allah est grand !        

 

                                                                   Le Chesnay le 9 juin 1994

                                                                   Copyright Christian Lepère

 

 

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30 août 2010 1 30 /08 /août /2010 06:20

189-Monts-du-Morvan----------61-x-50-cm.jpg

                                                               "Les monts du Morvan" - 61 x 50 cm - huile sur toile

 

 

SERMIZELLES EN BOURGOGNE

 

 

            Depuis ma plus tendre enfance j’ai hanté ce pays, parcouru les chemins, contourné les collines. Et j’ai vu au fil des ans ces paysages sous des aspects surprenants. Du froid intense et de la neige à la chaleur la plus lourde, du vent violent à l’accalmie fruitée. Je les ai vus sous la pluie ou émerger dans la gloire du soleil levant. Des giboulées violentes aux douceurs nostalgiques de l’automne. Je les ai vus déserts et je les ai vus en compagnie.

            Aussi est-il naturel que tout cela ne puisse plus former en mon esprit une image simple. J’en ai vu trop d’aspects multiples et contradictoires. Et puis ils ont changé et j’ai changé aussi. De coupes de bois en remembrements, de construction en abandon de ruines croulantes, tout a changé depuis mon enfance, tellement et si souvent que parfois la boucle a été bouclée et que j’ai pu reconnaître jadis momentanément ressuscité. Et j’ai changé aussi.

            Enfant, mon horizon était limité à la vigilance des adultes, puis il s’est élargi en escapades, puis en explorations à pied et en vélo. En barque aussi parfois et petit à petit j’ai étendu mon rayon d’action. Puis un jour ma première 2 CV m’a donné des ailes.

            Depuis je n’ai cessé de revenir, abordant la région de toutes les directions possibles, sous tous les angles et dans toutes les circonstances envisageables, parfois gaies, parfois tristes. J’y ai joué aussi bien des rôles en tant qu’enfant, puis en adolescent romantique et tourmenté, puis en jeune adulte débutant dans la vie active. Enfin un jour Michèle m’y a accompagné, puis Sébastien est né et avec lui un nouveau tour de spirale a commencé.

            Et tout ceci fait que pour moi, Sermizelles n’est pas cette image rassurante qu’ordinairement on se fabrique en s’enracinant dans un lieu. C’est au contraire l’endroit où la multitude qui me hante, stimulée par tous ces souvenirs déferle en jouant des coudes. Pas un lieu, pas une orientation, pas un éclairage, un bruit, un parfum qui ne fasse, séance tenante, surgir des pans entiers de passé. Car il est là tapis le passé, caché derrière la porte vermoulue, prêt à surgir ici et maintenant avec la vitesse et l’intensité d’une révélation.

            Tout lui est bon, tout lui est prétexte. Après de longues heures de grisaille, pluie incessante et morne ennui, un mince rayon de soleil va filtrer jusqu’à la campagne gorgée d’eau. Un parfum discret et tenace va se réveiller. Quelques fleurs le long du fossé s’épanouissent : mauve ou scabieuse ou liseron ? D’un violet mystique ou d’un rose suranné. La route vient d’être goudronnée, répandant cette étrange odeur de vieux port ou de travaux publics, submergeant tout, investissant ma mémoire. A moins que de la rosée ressurgissent d’anciennes expéditions au petit jour pour aller traquer, dès que surgi, le champignon des prés. Et me reviennent des saveurs de fricassée cuite à la poêle et des odeurs de feux de bois et l’antique cuisinière et sa fumée âcre qui pique la gorge et fait tousser.

 

                                                                  Sermizelles le 9 juillet 1994

                                                                  Copyright Christian Lepère

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16 août 2010 1 16 /08 /août /2010 15:57

377 Papillionacées 61 x 50 cm

                                                                  "Papillionacées" - huile sur toile - 61 x 50 cm

 

 

AU MOULIN DE SERMIZELLES

 

      Très jeune j’ai pratiqué la chasse au papillon et ce n’était ni banal ni innocent. D’abord parce que couleurs et formes me fascinaient outre mesure, ensuite parce que c’était une chasse solitaire et qu’enfin j’y mettais une ardeur et un acharnement un peu inhabituels.

      Je n’ai toujours pas compris pourquoi certaines harmonies de couleurs alliées à des formes étranges pouvaient me toucher ainsi, me faisant vibrer de façon subtile, exquise et déchirante.

      Faut-il se référer à un passé lointain comme pour la petite madeleine de Proust ou bien certains accords de longueurs d’ondes avec leurs bouquets d’harmoniques, auraient-ils le pouvoir de me mettre en résonance, de toucher les cordes profondes de ma sensibilité ? Toujours est-il que de même que certains parfums fugaces vous effleurant à l’improviste ou certains accords musicaux d’une richesse ambiguë, les nuances de couleurs entr’aperçues dans un rapide battement d’aile pouvaient me plonger dans d’étranges extases. A cela s’ajoutait l’aspect fugace du désir éveillé et toujours insatisfait. L’approche lente et prudente, le cœur battant, pour arriver à emprisonner d’une main légère et sans en faire tomber la poussière lumineuse la petite merveille ailée qu’avec de vagues regrets j’allais condamner à finir épinglée dans une boîte en carton. Réduite à l’immobilité par mon désir d’appropriation.

      Certaines couleurs resteront à jamais pour moi imprégnées du parfum d’un lieu, de l’ambiance d’un moment, de la magie subtile d’une atmosphère. Ainsi ce rouge sombre un peu pourpre et tout vibrant de nuit veloutée, réchauffé sur le pourtour de jaune orangé et piqué, Ô merveille, de petites étincelles d’un bleu d’azur si limpide, d’une fraîcheur si déchirante que le plus pur des ciels d’après la pluie ne pourrait se faire plus innocent ou plus candide. Et tout cela me rappelle à tout jamais le Puy de Dôme et les lointains bleutés des vieilles régions volcaniques.

      A d’autres couleurs correspondront d’autres lieux et des atmosphères sans pareils. Et pour chacune une imprégnation se sera faite, indissoluble entre parfum, lumière et ambiance.

      Au pied du moulin de Sermizelles le chemin était large et mal entretenu, caillouteux, raviné, parsemé de flaques et parcouru de rigoles. C’était pour faire du vélo un parcours plein d’obstacles et de traîtrises. Mais il me faisait aussi songer au lit d’un torrent cerné par des tas de troncs d’arbres empilés, attendant d’être débités en planches et répandant des odeurs puissantes quand la pluie les avait détrempés.

      Des nuées de papillons y vibraient parfois sous la chaleur. Des jaunes et des blancs, bien sûr et puis de ces tout petits bleus, posés sur le crottin de cheval et qui perdent leurs pigments dès qu’on les effleure, vous faisant des doigts d’étrange couleur. Mais surtout régnaient les maîtres : de grands papillons jaune clair, striés de noir, aux ailes en forme de fuseau se terminant par une sorte de queue au bout arrondi en spatule. Ceux-là étaient merveilleux. Plus grands, plus ciselés, correspondant sans nul doute au vocabulaire de formes dans lequel j’allais puiser plus tard pour graver ou pour peindre.                                                                                                                               

      Déjà j’étais émerveillé et il arrivait même parfois, pur miracle, que dans tout ce fouillis je distingue  une espèce encore plus rare, encore plus riche, encore plus improbable. Mais là, bien sûr, la rareté amplifiait la fascination.

 

                                                Sermizelles le 27 septembre 1994

                                                Copyright Christian Lepère

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8 août 2010 7 08 /08 /août /2010 15:24

403-Le-genie-----------------27-x-22-cm.JPG

                                                                           "Le Génie" - -huile sur panneau - 22 x 27 cm

 

 

HOMMAGE A PABLO, A SES POMPES ET A SES ŒUVRES

 

            Survint un jour un trublion. Solide et le mollet râblé, il pouvait faire face. Aussi dès qu’il en eut le loisir, il se campa dans la vie, s’affirmant sans vergogne. Doué par ailleurs de quelque talent il peignait à ses heures et cédant à son penchant bien naturel s’inspirait de tout ce qui s’offrait à ses regards et présentait quelque utilité pour sa propre démarche. Il emprunta donc ici ou là. Bon an mal an cela marchait. Certains l’admiraient, d’autres lui portaient même quelque estime. Mais notre homme n’était pas simple. Il se piquait aussi d’autres talents. Elaborer des théories ne lui était pas étranger et convaincre autrui de ses mérites n’était pas le moindre de ses soucis. Comme son abord était aimable, il s’attira de joyeux compagnons rusés et débrouillards, même si certains d’entre eux témoignaient d’une sincérité plus candide.

            Aux alentours la situation était confuse. Exsangue après la plus monstrueuse boucherie de son histoire, l’Europe était pantelante. Tous les principes et idéaux qui naguère faisaient florès paraissaient désormais bien oubliés. On avait bien vu où ils avaient mené. Condamner tout en bloc en ricanant était une facilité bien tentante. Habile et rusé notre homme s’y employa donc. Fin démagogue il n’omit jamais de choquer à bon escient, c'est-à-dire sans prendre de risques excessifs. Comme il était habile et savait utiliser à merveille les faiblesses des autres, sa popularité se mit à grandir. Calcul et sens de l’à-propos ne lui firent pas défaut. A tel point qu’il sut se rallier maints intellectuels de haute volée et parvint même à devenir l’ami de poètes et de penseurs profonds.

            Notons en passant que cet habile tour de passe-passe n’est sans doute pas trop sorcier, puisque même d’aussi sombres brutes que Staline et Hitler le réussirent dans leur propre domaine et avec les moyens qui étaient les leurs. Notre peintre eut d’ailleurs sa période  d’admiration pour le petit père des peuples, modeste sans doute mais sans équivoque. Puis il entama sa marche triomphale. Les élites piégées, les milieux intellectuels infiltrés, il pouvait désormais compter sur des amitiés fidèles, car le désavouer eut été se désavouer soi-même. Ce qui est d’une bien grande maladresse quand on veut se faire prendre au sérieux par de braves gens. La machine était donc lancée et désormais rien ne pourrait plus arrêter sa marche triomphale.

            Monographies, films, reportages, dithyrambes ne cessèrent de fleurir sous ses pas. Le critiquer eut été s’attaquer aux symboles les plus inattaquables. Qui oserait s’en prendre à l’innovation, à la liberté créatrice, à l’inspiration et à l’originalité inaliénable du génie ? Qui pourrait prendre le risque de rater le train du progrès pour se retrouver tout contrit et tout seul au bout du quai désert ?

            Dans l’ensemble la chose a bien marché. Tout le monde a coopéré avec beaucoup de tact. Tout le monde a compris que certaines vérités sont malséantes à dire. Tout le monde ou presque. D’ailleurs qui se soucie maintenant de tout cela ? Vérité, valeur, intelligence ne sont plus que des mots, des concepts qu’un habile dialecticien peut tailler en morceaux ou retourner comme un gant. Détournement et dérision…

            L’important n’est-il pas plutôt d’avoir des valeurs sûres, des références que nul ne discute, faute de les avoir soumises à expertise. Après tout qui se soucie vraiment du soldat inconnu ? Etait-il un héros ou un traître ? Et qui ne s’est jamais demandé si l’on n’était pas en train de rendre hommage, sous l’arc de triomphe, à un déserteur fauché pendant sa fuite ?

            Mais j’ai l’esprit tordu. Quand on songe à la quantité prodigieuse d’efforts, de diplomatie, de ruses et de compromissions nécessaires pour arriver à construire l’image symbolique d’un génie pictural mondialement connu et révéré, on se dit qu’il serait bien dommage que quelque irresponsable, probablement jaloux de surcroît, vienne ternir d’une fausse note un aussi merveilleux concert de louanges.

 

                                                          Le Chesnay le 26 novembre 1995

                                                          Copyright Christian Lepère

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27 juillet 2010 2 27 /07 /juillet /2010 12:39

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                                                                               "Ainsi va la vie" - huile sur toile - 65 x 54 cm

 

 

LE CIMETIERE DE SERMIZELLES

 

            Le cimetière de Sermizelles est pour moi un haut lieu convivial. Depuis soixante ans c’est fou le nombre de personnes que j’ai vu s’y rendre pour un dernier petit voyage. Jadis dans un corbillard cahotant et désuet  et depuis en fourgon confortable. D’abord il y a eu des gens du pays. Des pépés et des mémés, vieux paysans matois et leurs épouses usées à la tâche, tout racornis par le labeur. Parmi eux, bien sûr, « la classe », les conscrits de 14-18, ceux qui se souvenaient des tranchées comme mon grand-père. Et qui fêtaient ça avec le gros rouge local. «La classe !un canon ? » et le père Robert repartait soutenu par son vélo. D’autres avaient dépassé le stade de l’amateurisme persévérant et en vrais professionnels finissaient par y laisser leur peau. Ainsi Hyppolite qui profitait des battages et de la grosse chaleur pour se réfugier à la cave, dans le but bien légitime de se rafraîchir. A la gnôle malgré tout. Consommée dans des pots à confiture pour faire bonne mesure. C’est après sa deuxième désintoxication qu’il a rendue son âme au Bon Dieu et qu’il est venu reposer parmi les siens.

            Les autres, je ne me souviens pas toujours de leurs noms…et puis tous n’étaient pas toujours chargés d’ans. Parfois j’ai vu partir des débutants. Colette était bien jeune. Mais il faut de tout pour remplir un cimetière.

            Bien sûr, cela resterait un peu lointain si je n’y avais aussi ma famille. D’abord ma grand-mère. Mais je n’avais que six ans et il ne me reste qu’un souvenir de fleurs artificielles violettes. D’un violet intense, chargé de sentiments obscurs. Toute la tristesse du monde et d’indicibles nostalgies. Et puis les roues du corbillard patinant dans la boue des ornières sous un ciel bas. Et la tristesse de ma mère, et sa peur. Ambivalence et confusion. De quoi, vous marquer l’âme. De quoi vous faire sombrer dans des délices poétiques.

            Puis mon grand-père est mort, usé, au bout du rouleau après quinze ans de veuvage. Mais j’avais vingt et un ans et l’impression n’était plus la même. Un merveilleux soleil inondait la campagne. Il faisait chaud et au bord de la fosse je me mis à pleurer sans retenue pour ensuite, au cours du repas, être pris d’une crise de fou rire en compagnie d’autres jeunes. Et tout cela sans honte. Tout naturellement. D’ailleurs personne ne semblait choqué. Mais c’était la campagne et le repas était bon, bien arrosé.

            Puis cela a été le tour de ma mère, dont le cancer survenait bien à propos pour lui épargner une retraite qui ne lui souriait guère. Pour elle tout était joué et sans doute raté. Inutile donc de s’obstiner, quand on n’attend plus rien, on s’en va. Pour ma part j’étais plus mûr, de sens plus rassis et moins enclin aux débordements. Cependant (mais s’agissait-il de Jeanne ou de Lucienne ( ?) quelqu’un réussit à me submerger de son émotion et de nouveau j’éclatais en sanglots à la porte du cimetière. Mais je n’étais pas dupe. Ma propre émotion( mais étais-ce bien la mienne ? ) m’apparut comme une lame de fond qu’on voit surgir, déferler, puis refluer avant que l’eau ne redevienne calme et étale. Les vagues, l’éternité s’en fout.

            Enfin mon père a lâché prise, après avoir terminé son itinéraire à l’hôpital de Villeneuve St Georges, veillé par Yvonne qui n’avait rien compris et se retrouvait seule, vaguement coupable, désagréablement surprise et malgré tout assez soulagée…ambivalente comme à son habitude.

            Cette fois-ci j’étais orphelin et je l’ai bien ressenti. D’ailleurs, pendant le voyage j’ai pu m’en entretenir avec Michèle qui elle, ne l’étant pas, ne pouvait sans doute pas tout saisir. Pour moi c’était en fait très clair : plus de garde-fou, plus personne à enterrer avant moi. J’étais en première ligne. Mais cependant assez paisible. Sans doute que je ne croyais plus vraiment à cette histoire insensée qui nous mène de la naissance à la tombe, avec des hauts et des bas et tellement de longueurs insipides et de sinuosités non véritablement nécessaires.

            Depuis la roue a continué de tourner. Le tour de tata Olga est venu récemment et cette fois c’était très net, je n’y croyais plus du tout. Même en me forçant à faire comme si… Depuis tonton Raymond fait un veuf très présentable, mais ses visites quotidiennes au cimetière disent clairement que d’une certaine façon il attend la fin, tout en continuant par ailleurs à nourrir des projets peu raisonnables. Mais la vie, tant qu’elle s’obstine, ne saurait l’être. Pour plus de sûreté il vient de faire graver son propre nom sur le caveau, avec sa date de naissance. Ce n’est pas qu’il ne nous fasse pas confiance à mon frère et à moi, mais c’est bien connu : on n’est jamais si bien servi que par soi-même.

                                                         

                                                               Sermizelles le 30 juillet 1994

                                                               Copyright Christian Lepère

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15 juillet 2010 4 15 /07 /juillet /2010 11:54

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                                                                            "L'extravagant" - huile sur toile -

 


Comment se couper les ailes

 

 

            L’enfant qui vient au monde ne sait pas parler et n’a d’ailleurs rien à déclarer. Mais potentiellement il en est capable et il suffira de lui prêter attention en  s’adressant à lui pour qu’un jour il puisse faire de même. L’imitation de ceux qui l’élèvent aura suffi à lui faire réaliser ses propres possibilités.

          Par ailleurs il est programmé pour intégrer et reproduire n’importe quel langage et seules les circonstances l’amèneront à s’exprimer dans la langue qui sera la sienne, sa langue dite maternelle. N’importe quel natif de la France profonde ou périphérique pourra tout aussi bien s’imprégner du chinois ou d’un dialecte d’Afrique centrale si on fait le nécessaire pour lui inculquer. Seules les limites de temps et de disponibilité l’empêcheront d’acquérir toutes les langues de la planète.

          Il en est de même dans bien d’autres domaines et force est de constater que pour se structurer harmonieusement un enfant doit nécessairement se limiter dans ses acquisitions. A l’impossible nul n’est tenu. C’est vrai dans tous les domaines et pour devenir pianiste virtuose ou champion du monde du dix mille mètres il faudra concentrer ses efforts et négliger un tas d’autres choses. Mais au départ les possibilités sont immenses.

          Or il se trouve que nous percevons le monde à l’aide de nos sens. Ceux-ci nous renseignant d’ailleurs de façon médiate, ne nous fournissant qu’une traduction fabriquée maison des messages qui nous informent par l’intermédiaire d’ondes qui échappent totalement à notre attention directe. C’est tout à fait comparable à la télévision qui, par l’intermédiaire d’un appareillage technique sophistiqué fabrique pour nous du visible et de l’audible qui sans cela  n’aurait aucune réalité pour nous. Dieu merci d’ailleurs, car le malheureux qui capterait toutes les chaînes directement et en permanence risquerait de devenir fou dans des délais très brefs.

          Donc nos sens nous renseignent, de façon discutable mais cependant assez efficace pour nous permettre de vaquer à nos nécessités. Mais comme le poste de télévision ils ne peuvent le faire que si ils ont été programmés pour le réaliser d’une façon jugée adéquate. C’est ici que l’éducation intervient. Parmi l’invraisemblable afflux d’informations diverses et variées qui nous assiègent à chaque seconde, il va falloir trier et ne retenir que celles qui sont considérées comme pertinentes. Pertinentes ? Oui, mais au yeux de qui ? D’abord de papa et maman, bien sûr, puis aux yeux des autres, tous les autres dont les désirs et les attentes reposent sur un ensemble de conventions qui seules permettent de vivre en société. Notre perception sera donc formatée, éliminant impitoyablement tout ce qui sera jugé inintéressant, non conforme et superflu. Voilà qui ne va guère favoriser la vie intérieure. Là où tout est subjectif, fluctuant et strictement personnel.

                                                                 

          Le monde dans lequel nous vivons et qui est d’ailleurs en train de suffoquer dans ses limites et ses contradictions est celui du rationalisme matérialiste. A ses yeux n’existe que ce qui est observable, reproductible et mesurable, en un mot ce qui est scientifiquement établi. Fort bien et l’on devrait se sentir rassuré, mais l’excès n’est jamais une bonne chose et dans ce cas le « principe de précaution » adopté risque de nous couper d’une large partie du monde  réel. Tout ce qui ne peut être appréhendé par l’intellect, réduit à des concepts et testé avec des instruments de mesure sera réputé inexistant : croyances,  superstitions, gris-gris, Vaudou et tables tournantes, le tout ficelé dans un grand sac avec une étiquette accablante : « subjectivité ».

          Ce faisant on oublie que même le rationaliste pur et dur est un être de chair et de sang qui ne peut en aucune façon échapper à la dite subjectivité. Même si elle est différente de celle du mystique ou du poète. Que ça lui plaise ou non, il a des croyances.

          Mais où voulais-je donc en venir ? Ah oui…se pourrait-il que nous n’utilisions pas toutes les possibilités offertes par notre organisme ? Organisme qui est le seul outil concret  dont nous ayons l’usage. Se pourrait-il que nous nous limitions stupidement nous-mêmes tel l’enfant qui apprend une langue, sa langue maternelle et croit ensuite naïvement que c’est la seule ? (Ils sont fous ces Romains, ils ne parlent même pas français !). En gros se pourrait-il que nous disposions d’autres moyens d’investigation ?

          Depuis fort longtemps les gens un peu plus réfléchis ou un peu plus intériorisés que la foule environnante ont clairement perçu l’essentiel. Pour approfondir quoi que ce soit il vaut mieux être seul, pas forcément physiquement, mais dans son for intérieur, là où l’on ne dépend  plus servilement d’un consensus général, d’une croyance traditionnelle. Alors on prend du recul ? On se recueille et l’on n’hésite pas à se poser les questions qui fâchent, remettant ainsi en cause tout ce sur quoi reposent nos convictions, celles dont on nous a bourré le crâne quand nous étions petits, profitant de la crédulité, de l’innocence et du besoin de certitudes rassurantes face au vaste monde.

 

                                                              Sermizelles le 20 mai 2010

                                                                     Copyright Christian Lepère

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6 juillet 2010 2 06 /07 /juillet /2010 12:12

402 Cubisme 27 x 22 cm

                                                                                   "Cubisme"  -  huile sur bois  -  27 x 22 cm

 


Squelette et concept

 

            Après avoir atteint, si ce n’est dépassé les limites de l’abstraction les artistes dits d’avant-garde se sont mis à cultiver fiévreusement le concept, en arrivant à négliger quelque peu tout le reste. Or le concept est à l’œuvre d’art ce que le squelette est pour l’organisme d’un être vivant : une charpente certes indispensable, sans laquelle nous ne serions que d’étranges mollusques se propageant tels des amibes dans un milieux aqueux.

            La dignité de l’être humain est d’un tout autre niveau et gloire soit rendue à la nature qui nous a permis la station verticale et les mouvements articulés. Nous sommes des vertébrés, manuels et cérébraux. Mais le squelette n’est principalement qu’un support. Réduite à lui seul la créature humaine perd quelque peu de son charme.

            Imaginez Marilyn Monroe  sans sa pulpe et Schwarzeneger réduit à son support osseux. Désolant ! La vie deviendrait vite insipide. Bien sûr la présence et l’activité de quelques viscères entraîne toutes sortes de conséquences parfois fâcheuses : les passions se déchaînent, nous entraînant dans des débordements coupables, des conflits, des paroxysmes…

            Mais ne serait-ce pas le propos de l’art que de nous parler de notre humanité et de tout ce qui dépassant le simple intellectualisme rend le spectacle de la vie si palpitant ?

                                                           Le Chesnay le 15 janvier 2009

                                                                  Copyright Christian Lepère

                                                                                         "Cubisme"  Huile sur bois 27 x 22 cm



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30 juin 2010 3 30 /06 /juin /2010 12:55

409-Produits-du-terroir-46-x-38-cm.jpg

                                                                                         "Produits du terroir" - huile sur toile - 46 x 38 cm


Monsieur Martin promène son chien

 

              Comme chaque matin, monsieur Martin promène son chien. Ces deux là sont fait pour s’entendre. On pourrait même parler de complicité. Il y a si longtemps qu’ils vivent ensemble et qu’ils se sont habitués aux petites manies de l’un et de l’autre.

              Comme chaque matin ils font le tour du village. Parcours habituel ponctué de pauses inévitables et de rencontres plus ou moins prévisibles. Aujourd’hui il fait beau et la lumière est douce. Passé le mur du moulin un parfum les attend. De doux effluves viennent caresser les narines de monsieur Martin. De roses de ton pastel, épanouies, éclatantes émane un parfum  subtil, discret et émouvant vous pénétrant jusqu’à la moelle. Tel Marcel Proust envahi par son passé le paisible retraité est rejoint, cerné et investi par de bien anciens souvenirs, d’improbables réminiscences.

              Son chien est un complice, une âme sœur, un complément d’être et pourtant…Va-t-il partager les états d’âme de son maître ? Ou bien suivant sa nature canine va-t-il suivre d’autres pistes ? A ce propos le voila qui flaire et s’agite. Le museau collé au sol il furète. Est-ce une odeur d’urine au pied du vieux mur, une trace olfactive de taupe ou de petit rongeur ? Pour un instant son instinct de chasseur s’est réveillé. Pendant ce temps son maître a sombré dans la nostalgie. Le passé, la jeunesse, Yves Montant évoquant de sa voix chaude les « roses de Picardie ». Et voila…

              L’autre est un autre et canin en plus. Quelle que soit leur complicité le maître et l’animal ne peuvent nullement partager le même monde. Certes ces deux mondes se complètent, s’ajustent et avec l’habitude forment une harmonie cohérente. Mais si monsieur Martin croit que son chien éprouve les mêmes délices que lui, il est en flagrant délit de projection, ce qui est le propre même de la subjectivité humaine.

              Comme il ne s’en soucie guère et préfère vivre dans le confort rassurant de ses fantasmes, tout va pour le mieux.

              D’ailleurs son chien semble aussi satisfait que lui. Alors pourquoi chercher plus loin. Seuls des gens bizarre et compliqués, vous savez ce genre de personnes qui vont chercher midi à quatorze heures, vont ressentir une insatisfaction. Mais ce sont des âmes en peine, des pisse-vinaigre, des inadaptés de la routine, des insatisfaits congénitaux. Alors pourquoi s’en faire ? Prenons les choses comme elles viennent.

              Dormez en paix braves gens, tout est sous contrôle.

 

                                                                       Sermizelles le 20 mai 2010

                                                                             Copyright Christian Lepère

                                                                           

                                                                                  

                                                                 

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4 juin 2010 5 04 /06 /juin /2010 11:44

244-L-or-de-l-automne-73-x-60-cm.jpg

                                          "L'or de l'automne" - huile sur toile  - 65 x 54 cm

 

 

AU DELA DU CHAMP DU FEU

 

      Dix degrés ce matin au thermomètre. Après la canicule voici venir l’automne. La chaleur accablante après avoir fait place aux ondées a replié bagages. Tout au moins pour le moment. C’est l’accalmie et voici que m’assaillent de très anciens souvenirs.

      C’était jadis, l’enfance et au-delà sans doute. Avec les premières brumes et le soleil déclinant reviennent les éclairages d’arrière saison dont les nostalgies ont toujours été pour moi les prémisses d’un ailleurs, d’un bien plus loin, d’un très au-delà.

      C’est là-bas derrière la colline, plus loin que les vagues bleutées des monts du Morvan. Plus loin que le Bois Monsieur où nous allions chercher du muguet. Plus loin même que le Champ du Feu  où, me disait-on des gens vivaient seuls au milieu des bois… Te rends-tu compte ! Tout seuls !

      Et voilà qu’en ce milieu d’Août le temps a basculé et qu’au plus profond je retrouve ces pays émerveillés de fin de saison.

      Jadis, il y a bien longtemps, quand j’étais petit, la rentrée était le premier octobre et septembre étirait ses brumes dorées  sur les vendanges. Et déjà je me sentais chez moi dans cette fuite du temps, dans cette fin de chapitre. Les jours raccourcissaient, allongeant les crépuscules. Moment paisible et nostalgique où tout se calme et se retire. Où même le clapotis s’apaise, faisant place enfin au silence. Profond et insondable. Magique. Merveilleux et parfois terrifiant, mais d’une douceur si déchirante.

 

 

                                                                      Sermizelles  août 1994

                                                                                                Copyright Christian Lepère

 

 

 

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