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24 mai 2010 1 24 /05 /mai /2010 15:35

429-Hommage-a-Vauban-46-x-38-cm.jpg

                                                            "Hommage à Vauban"  -  huile sur bois - 46 x 38 cm

 

 

SOUS LE REGARD DE VAUBAN

LE CENTRE DU MONDE

     Ainsi Salvador Dali s’est trompé, ou bien il a menti. Allez donc savoir. De toute manière il a répandu l’erreur en affirmant que la gare de Perpignan était le centre du monde.

      Certes ce bâtiment ne saurait être tenu pour quantité négligeable et il est vrai que relié à tout le réseau ferroviaire de France et d’ailleurs, il peut émettre quelques prétentions. Cependant la logique a ses lois et le monde, aussi vaste qu’il puisse se présenter à nos sens, ne saurait avoir deux centres. Or, et nous l’avons vérifié depuis bien longtemps, le centre du monde se trouve à Avallon, plus précisément au « Café de l’Europe », au cœur de la ville, face à la statue de Vauban  et plus précisément encore, non pas à la terrasse, terrain d’observation estimable mais quelque peu périphérique, mais dans la salle surélevée de quelques marches dominant cette dernière.

      Aujourd’hui, par chance, une table était libre au centre du centre, au cœur du cœur, en ce point ineffable d’où tout rayonne.

      Ceci, quoique indiscutable, mérite d’être expliqué. Qu’est-ce donc qu’un centre , sinon ce point sans dimensions, inexistant, d’où tout peut être saisi, envisagé et remis à sa place ? Ce point idéal d’où tout peut être vu. D’abord les garçons de café empressés qui, ayant bien pressenti notre position privilégiée n’ont même plus besoin de venir s’enquérir de nos vœux : « Comme d’habitude ? » demandent-ils avec un sourire complice et en toute simplicité nous répondons « oui ! ». Tout superflu élagué nous pouvons ensuite contempler la salle qui nous entoure, rayonnant dans toutes les directions.

      A proximité un groupe de bambins merveilleusement éveillés se goinfrent, aspirent avec des pailles et font les pitres sous le regard attendri de leurs parents. Jusqu’au moment où la fille entreprenant de manœuvrer les stores vénitiens va recevoir une petite fessée pour endiguer ses initiatives.

      Ailleurs des retraités, des touristes, des jeunes, des motards, des campeurs. Toute la faune bariolée de notre beau pays et de ses environs : hollandais blonds, anglais en vacances, allemands en bermudas. Cependant, plus de turcs. Auraient-ils été refoulés pour manque de travail ? Mais des bronzés, des basanés, ainsi que des créatures pâles ou roses, ravissantes et diaphanes.

      Parmi toute cette foule,parfois une figure connue : un copain à nous, un habitué, un pilier de comptoir avec qui nous n’avons même pas besoin d’échanger un coup d’œil complice. Il sait que nous sommes là et qu’ainsi tout est bien.

      Au-delà c’est la rue, la place, le rond-point où virevolte un incessant ballet de véhicules. Où tout converge et d’où tout repart, réorienté selon quelques lois mystérieuses. Des touristes vont et viennent, des chiens traversent, des enfants mangent des glaces et quelques vieux autochtones promènent leur bedaine et leur face rougeoyante de joyeux bourguignons, tandis que d’autres, hagards, traînent leur carcasse vermoulue.

      Non contents de dominer tout ce monde d’un regard circulaire, nous nous offrons le luxe de jouer de son image démultipliée par les reflets des vitres et la réfraction des glaces. Ainsi, telle personne qui s’avance vers nous, se déplace aussi de profil comme un fantôme dans un miroir poli et nous présente simultanément ses arrières par l’effet de quelque mystérieux artifice d’optique. Et tout cela se mélange, se superpose. La petite fille est rouge de l’éclat de la voiture qui passe et sa maman bariolée de fleurs,coupée en huit ; éclatée par le kaléidoscope des portes qui font face aux miroirs, qui reflètent les vitres, qui renvoient les portes…Et tout cela à l’infini et simultanément.

      Repus de couleurs, de lumières et de bruits, nous finissons par quitter le centre. Saturation faite, le plein assuré, nous pouvons retourner chez nous, en attendant demain où nous pourrons à nouveau, pour une somme véritablement modique nous retrouver au poste de contrôle d’où tout part et où tout revient. En vérité le centre du monde.

 

                                                   Sermizelles le 11août 1994

                                                     Copyright Christian Lepère

 

 

 

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21 mai 2010 5 21 /05 /mai /2010 15:40

279 Antre du retraité 65 x 54 cm

                                                                 "L'antre du retraité"   (huile sur toile - 65 x 50 cm)

                                            


PEPE LOUIS ET SON DESTIN


                 Tassé dans son fauteuil, le mégot éteint et humide pendant au coin des lèvres, pépé Louis ronfle la bouche ouverte. Gargouillis, borborygmes  et sifflements se succèdent. Le spectacle pourrait effrayer un enfant mais malgré mon âge tendre je ressens une présence amicale plutôt rassurante, comme celle d’un paisible ruminant ou d’un gros chien familier.

             Pépé Louis est petit, bossu, et sa main droite happée jadis par une machine à bois n’a plus que trois doigts. Il est par ailleurs assez peu porté sur l’action et depuis qu’il est veuf son existence s’écoule paisiblement au sein de la campagne bourguignonne.

             Maintenant il est seul et en a pris son parti. D’ailleurs mémé Léonie repose au cimetière tout près, presque à portée de voix. Elevé dans un athéisme militant il bouffe du curé et attend sans enthousiasme la mort qui mettra fin à tout.

             Pour les gens le père Louis reste une figure. Malgré son physique et son peu de goût pour l’effort, il peut encore se rendre utile. Ainsi quand la belle saison se termine dans un flamboiement d’après les moissons, il est toujours volontaire pour aller prêter main forte et brandir avec sa fourche les bottes de paille qui s’engouffrent dans l’énorme batteuse. Sensation exaltante d’être un maillon de la chaîne. Sans doute cela lui rappelle-t-il le temps où durant  la grande guerre il a connu la camaraderie des tranchées. Uni avec les copains de la classe  il peut se surpasser et mériter la médaille militaire  accrochée dans un cadre au dessus du fourneau.

             A d’autres moments sa passion maniaque et solitaire va l’amener à bêcher quelques mètres carrés pour y planter divers légumes sans mesurer son temps. La terre réduite en infimes particules, débarrassée du moindre caillou et homogène au-delà du raisonnable pourra accueillir les plantations auxquelles un terrain plus rustique conviendrait tout aussi bien. Mais guidé par son idéal il ne se pose pas de questions superflues et continue sa tâche avec une régularité de métronome.

             Cela aide le temps à s’écouler et bon an, mal an il va se rapprocher de la fin inéluctable, perdant peu à peu les menus plaisirs du quotidien pour se réfugier dans d’interminables siestes. « L’Yonne Républicaine » fleurant bon l’encre encore fraîche, glissant de ses mains, ses ronflements continueront à remplir la maison de la cave au grenier.

             Pour moi jusque là tout allait bien. Paisible et tolérant, Pépé Louis était gentil avec les enfants. Si il nous grondait, ce n’était que pour faire bonne figure auprès des autres. Ainsi il persistait à nous envoyer scrupuleusement à la messe du dimanche matin alors qu’il réprouvait ces pratiques obscurantistes d’un autre âge et cela uniquement pour faire plaisir à sa fille qui aurait eu honte de négliger le salut de notre âme. Bien entendu elle-même n’y allait pas car elle était surchargée de besogne…

             Donc tout allait bien mais un beau jour vint pour moi le temps de l’adolescence. L’intellectuel raisonneur que j’étais devenu très jeune et qui cherchait toujours à comprendre le pourquoi du comment risquait de poser problème. Et c’est ce qui advint. Hanté par la métaphysique et ses énigmes de base, je m’interrogeais sur le sens de l’existence. Cela ne plaisait pas trop et l’on me rétorquait que j’allais chercher midi à quatorze heures alors que la vie était déjà bien assez compliquée comme ça. De toute façon je verrais bien, plus tard, quand je serais à mes croûtes, ou en termes plus convenables quand j’aurais à subvenir moi-même à mes besoins. Mais le raisonneur insistait car il voulait comprendre et cela le rendait peu conciliant. Avec le recul je plains mes pauvres parents qui eurent à supporter mes états d’âme et mes hésitations, mais je persiste aussi à penser qu’ils avaient une fâcheuse tendance à m’admirer pour de mauvaises raisons tout en me reprochant mes qualités essentielles. Ce qui n’est pas vraiment judicieux.

              Mais la vie est obstinée, tel un bœuf au labour elle a continué droit devant elle jusqu’au bout du sillon avant d’en attaquer un autre et un jour, bien sûr, pépé Louis est mort. Quelques anciens, Survivants de « la classe » ont suivi le cercueil en silence et la famille éplorée dont je faisais partie s’est sentie un peu triste.

             L’épisode clos, mes interrogations persistaient et, loin de les calmer mon entrée dans la vie professionnelle ne fit que les amplifier en les compliquant à plaisir. Car de l’idéalisme il fallait passer au concret. Et ça, je ne savais pas bien faire. Jusque là mes vues étaient théoriques et en théorie on a la partie belle. Les piliers de comptoir s’en doutent un peu quand ils reconstruisent le monde en se demandant comment le pape a pu déraisonner à ce point…ou comment l’aveuglement du chef de l’état, si ce n’est de celui de l’opposition, a pu l’amener à…Bien sûr qu’à leur place ils n’auraient pris que de sages décisions et n’auraient pas été s’empêtrer dans des combines louches et des alliances douteuses. Car quand même, on se demande comment ils ont pu, ou osé, alors qu’il suffisait de…

             Donc, confronté au quotidien, j’ai du revoir ma copie. De nombreuses fois et sans vergogne car la vie ne cessait de me piéger sournoisement en me faisant découvrir d’autres paramètres jusque là restés cachés à ma vue.

             En fait rien n’est simple. Oserez-vous me contredire? Tout est complexe et enchevêtré et surtout, tout dépend de tout. C’est un peu accablant mais je crois qu’il faudra s’y faire. D’autres l’ont compris avant nous, mais à quoi nous sert leur expérience? C’est à chacun de tout redécouvrir et d’intégrer petit à petit le maximum de données pour trouver l’issue. Car elle existe, mais nous aimons tellement errer dans le labyrinthe en faisant semblant de vouloir en sortir que nous n’hésitons jamais à jouer les naïfs en prétendant être dépassé par des problèmes insolubles.

             Mais revenons à nos moutons ou plutôt à pépé Louis. Enfermé dans son petit monde il fonctionnait cahin-caha. A-t-il vraiment profité de la vie? Sans doute y a-t-il trouvé des joies et des plaisirs. Après tout un canon de vin rouge et une cigarette roulée à la main, ce n’est pas rien. Mais cela peut-il suffire? Il y avait aussi les parties de carte avec les vieux amis et dans la brume de l’aube la cueillette des champignons de rosée  et puis le goujon qu’on va taquiner au bord de la Cure et le vélo solex qui permet, en pédalant dans les côtes de rallier Paris dans la journée à condition de se lever tôt  et de ne pas craindre la tombée de la nuit.

             Mais tout a une fin et pépé Louis s’est éteint un jour à l’hôpital d’Avallon. Malgré ses convictions (d’ailleurs non vérifiées) il se pourrait bien qu’il ait poursuivi sur sa lancée dans quelque autre plan plus subtil, à moins qu’il ne soit revenu très vite pour tenter à nouveau de réussir là où la vie n’avait pas répondu à ses attentes. Allez donc savoir…Mais est-il possible que son acharnement et son opiniâtreté à poursuivre son existence aient pu se terminer de façon aussi courte et à tout prendre aussi peu satisfaisante. Si le désir est un moteur puissant, la frustration et le sentiment d’échec peuvent l’être tout autant. Faisons leur donc confiance et notre avenir sera assuré.

 

 

                               Le Chesnay, le 16 Octobre 2006

                                                                   Copyright Christian Lepère




570 L'estaminet 51 x 45 cm


                                  "L'estaminet"  (huile sur toile - 51 x 45 cm)                                  

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10 mai 2010 1 10 /05 /mai /2010 16:08

TROIS PETITS TOURS ET PUIS S’EN VONT

 

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                                                               "Fête Baroque"  130 x 97 cm

            La mort nous attend au tournant. Glissade ou rupture d’anévrisme ? Dérive longue et lente au fil de transfusions sans fin ou brutal détournement terroriste un jour de 11 septembre ? C’est au choix ou au hasard, selon les croyances et les us et coutumes de chacun. Mais qui se tapit vraiment sous ses oripeaux ? Lugubre et glacée ou amicale, que nous veut-elle en fin de compte. Et si tout cela n’était que mascarade, facéties loufoques et plaisants quiproquos ?

            Après tout ce n’est qu’une porte. Donnant sur quoi ? Sur les coulisses… celles d’où, un beau jour nous avons surgi après nous être grimés et où nous disparaîtrons sous les applaudissements ou les huées, à moins que la salle ne soit vide…

             Et après ? Après ce sera la suite, plaisante ou non, avec ses paradis, ses enfers et ses purgatoires, où l’on est prié de s’améliorer avant de passer au niveau supérieur. Et la vie ? La vie, elle, va selon son habitude poursuivre l’infini déploiement de ses extravagances. Et si ça ne vous plait pas, il ne vous restera plus qu’à vous syndiquer avant de rencontrer le Bon Dieu. Sait-on jamais, peut-être est-il ouvert à la négociation …

 

                                                                                      Le 22 mai 2008     

                                                         copyright Christian Lepère          

 

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1 mai 2010 6 01 /05 /mai /2010 13:26

 

 

                  378-La-foule-------------------------46-x-38-cm.jpg

 

 

Et sur les murs j'écris ton nom : liberté

 

          La croyance la plus universellement répandue est que nous sommes des entités libres et autonomes. Ce point de vue est malgré tout plutôt moderne et occidental car dans les civilisations traditionnelles l’homme était considéré comme un élément de la création soumis aux lois implacables du cosmos mises en place par le créateur. Les grecs, et leur dramaturgie le prouve, croyaient au destin et leurs héros étaient soumis à un devenir implacable auquel ils ne pouvaient nullement échapper.

         Oui, mais voilà, il y a la volonté. C’est à la renaissance que le progrès des connaissances scientifiques a progressivement fait germer dans les esprits intellectuels l’idée que,  par la connaissance des lois, l’homme pourrait ensuite les utiliser à son profit et détourner le cours des événements, faisant ainsi la nique au démiurge...

           Tout cela est bel et bon  car si je peux décider librement d’une ligne de conduite et m’acharner à obtenir ce qui me parait souhaitable, il semble bien que je dispose d’une part de liberté. Et voilà le libre arbitre qui entre en scène, séduisant et machiavélique. Car grâce à lui je vais pouvoir me livrer à des jeux fort subtils, mêlant la brutalité à la persuasion,  cherchant par tous les moyens à manipuler mes semblables et par ce biais les situations. Merveille ! Nous venons d’inventer la politique et la diplomatie,

Justifiant ainsi d’emblée les actions les plus contestables et les plus incertaines, à condition que ce soit pour la bonne cause.

            Or, la cause qui me tient à cœur est nécessairement la bonne, du moins à mes yeux. Mais peut-être que mon teigneux de voisin n’est pas d’accord. Ca ne m’étonne pas car il a toujours eu des conceptions bizarres, privilégiant de la façon la plus choquante ses propres intérêts. Mais passons… Si le libre arbitre est universel, il faut bien reconnaître que certains en font un usage plus que contestable.

            Enfin l’essentiel est établi : je suis libre ! Oui mais de quoi ? En tout état de cause si je prends des décisions c’est parce que je suis un être raisonnable, donc me défiant de l’impulsivité. Je cherche à comprendre après m’être documenté et avoir examiné les données objectives. C’est que je souhaite ne pas me tromper ! Donc si finalement je prends une décision c’est que je la juge opportune et sensée. En d’autres termes c’est qu’elle repose sur des raisons admissibles par tout être lucide, doué de réflexion et apte à juger sainement. Je ne peux donc plus me fourvoyer.

              Hélas le quotidien me prouve sans cesse que les autres sont rarement d’accord avec mes conclusions. Je suis donc tenté de me dire, ou bien qu’ils sont mal renseignés, ou qu’ils n’ont pas apprécié objectivement toutes les données. A moins que, et c’est abominable, ils ne soient en train de biaiser ou de se mentir à eux-mêmes en refusant certaines données pourtant flagrantes. Mais au fait ne serais-je pas dans le même cas ? Car après tout je cherche à bien faire mais je ne peux douter totalement de la bonne foi et de  l’intelligence des autres…

               Donc si je prends une décision, c’est parce qu’elle me paraît bonne. Sans doute les autres font-ils de même. Et voilà que j’arrive à la conclusion surprenante qu’en réalité chacun cherche à bien faire et qu’en définitive l’homme ne peut que rechercher le bien. Mais l’homme ? Tous les hommes (et les femmes) ? Même Hitler ? Même Staline ? Eh oui tous, sans exception, le seul problème étant que chacun a son échelle de valeurs et ses références et que ce qui lui paraît essentiel est négligeable au yeux de ses opposants. Il est bien connu que le paradis de l’un est l’enfer de l’autre et de là à vouloir imposer l’enfer à l’autre pour son bien, évidemment, il faut avouer que la pente est glissante.

                 L’histoire prouve surabondamment que c’est au nom du bien que les pires horreurs ont été commises. Que faut-il en conclure ? D’abord que l’enfer est pavé de bonnes intentions, et ensuite que quoi qu’il fasse l’individu choisit toujours irrémédiablement la solution qui lui paraît la meilleure (ou tout au moins la moins mauvaise, car entre la peste et le choléra…) mais que hélas, fluctuant comme il est, ce meilleur peut dans des délais très brefs devenir pour lui le pire. Car l’homme est faillible et passe une bonne part de son temps à se tromper, puis à se repentir, quitte à retomber un peu plus tard dans les mêmes ornières, mais en étant à chaque fois certain d’avoir raison. Et cela dans la plus totale liberté.

 

 

                                                    Le Chesnay le 16 Février 2007

 

                                                    Copyright Christian Lepère

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25 avril 2010 7 25 /04 /avril /2010 13:16

353-Vue-plongeante-------73-x-60-cm.jpgREALITE VIRTUELLE

 

        Réveillé vers deux heures du matin, j’ai mis très longtemps avant de me rendormir. C’est peut-être ce qui a provoqué une séance de rêves un peu exceptionnelle. Pendant au moins une heure, et sans doute nettement plus, j’ai assisté à un festival de courts métrages. Chaque rêve était bien distinct du précédent et, à sa fin, je sombrais à nouveau dans le sommeil profond.

Le remarquable de l’affaire n’était  pas dans les thèmes, mais dans la qualité « technique » de ces rêves.

         Il s’agissait en fait de cette catégorie où la conscience lucide assiste à un spectacle sans y croire, persuadée qu’elle est de l’aspect « bricolé maison » de la chose. Pourtant ces rêves n’avaient rien de personnel et leur caractéristique résidait plutôt dans leur ressemblance parfaite avec la vie courante. J’avais donc beaucoup plus l’impression d’assister à des scènes quotidiennes qu’à du délire onirique.  A cela plusieurs raisons. D’abord, les apparences de la réalité y étaient rendues de façon très fine. Formes, couleurs, mouvements, tout était vraisemblable, net et précis. Le relief et la profondeur étaient aussi des plus convaincants et si l’on ajoute que je pouvais m’y promener calmement en observant les choses de près, allant même jusqu’à tourner autour, on aura une idée plus claire de leur réalisme.

        Donc rien d’extraordinaire. Je me promène par exemple dans une rue avec des magasins, des entrées d’immeubles, des gens qui passent, et je remarque que tout est écrit en français : pancartes, affiches, enseignes, et je peut même traverser la rue pour lire son nom sur la plaque. Si des gens me parlent, je leur réponds et l’illusion est complétée par des sensations corporelles. Celle, par exemple, de courir dans l’herbe ou de monter un escalier.

Un fait plus curieux encore : ma myopie naturelle est corrigée par des lunettes et si je les enlève la vision devient moins nette. Je peux donc aussi jouer sur cette perception comme dans la vie de tous les jours.

        Enfin certains détails précis me reviennent.  Du haut d’un immeuble je regarde un panorama urbain. Juste en face, entre des pans de maisons, j’aperçois une église. Sa silhouette est petite parce qu’éloignée, mais d’une finesse et d’une précision étonnantes, comme si après une averse l’atmosphère purifiée supprimait l’imprécision due à la distance. Mon sentiment au réveil était d’avoir assisté à une sorte de spectacle de réalité virtuelle, mon cerveau ayant dans ce cas fonctionné comme un ordinateur, utilisant tout un matériel d’images et de scènes cohérentes, préalablement enregistrées, pour ensuite faire des montages vidéo. La perfection technique était d’ailleurs des plus frappantes, donnant ainsi une grande évidence à ce que je voyais et ressentais.

        Y aurait-il des rêves en trompe-l’œil ? En tout cas cela m’a rappelé le film « Un jour sans fin », d’autant plus que tout en vivant ces scènes, j’avais le sentiment de pouvoir intervenir, discrètement il est vrai, car dans ce cas, l’effort de manipulation risque à tout moment d’interrompre la projection et de me réveiller, un peu déçu de rater pareille aubaine.

                                                                          

                                                                  Copyright Christian Lepère

 

 

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21 avril 2010 3 21 /04 /avril /2010 15:32

SOLITUDE ENTOUREE

 

                 Toujours j’ai penché pour la solitude, le repli et le retrait de l’âme. Ah, se tapir en son for intérieur, juché dans sa plus haute tour, celle d’où l’on domine de si vastes contrées où les lointains pâlis s’enfuient en moutonnant. Celle d’où l’on contemple un infini gris bleu. Il est vrai qu’être seul me fascinait non pas de façon simple, massive et univoque,226 Frères humains 73 x 60 cm mais plus secrète et voilée. C’était comme si au fin fond du tréfonds j’avais la nostalgie du vide ou du grand large. En tout cas d’un indescriptible ailleurs. Vous savez, celui qui surgit quand un chien aboie au loin dans la nuit ou que les rumeurs de la ville viennent clapoter tout doucement sur les rives de votre nostalgie. Rêve ou réalité? Lassitude ou fatigue d’une vaine agitation? Parfois on pose les bagages et on s’arrête, en suspens dans un interlude aux reflets mauves.

                 Mais la vie n’a de cesse, il lui faut croître et proliférer. Alors l’humanité débarque en force et c’est le tumulte de la gare St Lazare à dix neuf heures une veille de noël. Des foules pressées débarquent des entrailles du métro. D’autres surgissent des rues, des places, des carrefours. Et tous se précipitent vers des buts d’eux seuls connus : des désirs insatiables, des leurres qui miroitent, de toute façon vers ce qu’ils croient être leur destin.

                 Si la nature humaine continue tant à me fasciner, c’est par le pittoresque de sa diversité. Formes, couleurs, consistances, proportions, chaque cas est un cas particulier, unique, irremplaçable. Texture de peau, allure, démarche chaloupée ou trottinement de souris, tout est là présent, offert. Les durs roulent des mécaniques et leurs nénettes ondulent dans des remous parfumés. Voici qu’arrive en cahotant quelque rustique débarquant  de sa France profonde, tandis que se glisse furtive une lascive ondine aux appas frais et bien galbés. De courtauds aborigènes et des papous chevelus se pressent. Ils n’ont plus d’os de poulet dans la tignasse, ni d’anneau dans les narines mais leur sourire est carnassier. Une concierge grasse et roses aux mèches frisottées de permanente hebdomadaire promène son cabas, d’autres leur chien, d’autres leur arrogance. Voici qu’une grande bringue longiligne munie de dents de cheval et d’un rire hennissant se lance tel un brise glace dans la foule compacte.

                 Autour, à perte de vue, mes semblables moutonnent, frères de misère et de gloire, ils se croisent, s’évitent, louvoient et rebondissent. Sans s’excuser bien sûr dans cette mêlée sans merci.

                 Petit à petit la foule se fait moins dense. Des trains partent et ceux qui arrivent sont presque vides. C’est le reflux, la banlieue est retournée chez elle. Ne restent plus que les papiers gras, les vieux tickets usagés et quelques errants que n’attend aucun domicile fixe. C’est fini pour ce soir mais n’en doutons pas demain sera chaud en humanité, comme d’habitude.

 

                                                                    Le Chesnay, le 28 septembre 2006

                                                                              copyright Christian Lepère

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18 avril 2010 7 18 /04 /avril /2010 11:27

PARFUMS DE FEMMES


         Disposant de nos cinq sens, nous nous imaginons naïvement qu’ils nous renseignent objectivement sur le monde où nous vivons et nous croyons dur comme fer que les autres vont jouir de cette même vision indiscutable.

            Semblable croyance prouve que nous ignorons tout des mécanismes qui nous permettent d’appréhender la réalité. Certes celle-ci existe et nous ne sommes pas nous même de pures illusions, mais de là à s’imaginer qu’un sujet observe un objet directement et sans altération…

            La réalité est beaucoup plus dans la perception  et sans observateur il n’y a rien à observer. Ainsi le merveilleux spectacle de la nature n’existe que dans notre esprit. Le sous-bois le plus poétique où fleurit le muguet et tout vibrant de chants d’oiseaux n’a en réalité ni son, ni couleur ni parfum. Ceux-ci ne sont que des transcriptions de messages chimiques, électromagnétiques et vibratoires qui, en atteignant nos yeux et nos oreilles, se trouvent traduits en sensations puis en perceptions. Et bien sûr qui dit traduction dit modification, même si il y a équivalence.

            Rassurons nous : tout le monde percevra bien à peu près le même parfum mais simplement parce que nos narines fonctionnent toutes de façon assez comparable. Comparable mais pas tout a fait identique… Et c’est pourquoi Pierre va adorer ce qui déplait à Paul. A cela il faudra ajouter la marge d’appréciation due à la culture et aux événements qui nous ont façonnés dans l’enfance. Nous ne voyons donc pas la réalité mais un spectacle intérieur, et cette version personnelle dépend bien sûr de nos organes. Nos rétines seraient-elles différentes qu’elles percevraient d’autres longueurs d’ondes. Ainsi nous pourrions voir les ultraviolets ou les rayons x, privilège dont bénéficient certains animaux

            Cette vérité a fait dresser l’oreille de quelques uns, poètes, philosophes ou hommes de simple bon sens. Car après tout si nos sens nous fournissent des traductions, ce ne sont sans doute pas les seules possibles.

            Baudelaire et Rimbaud après avoir tenté des expériences parfois bien aventureuses ont vu que l’usage de nos sens restait, pour des raisons sociales très conventionnel, et que c’était par simple habitude que nous nous figions dans des visions schématiques et stéréotypées du monde. Le dérèglement systématique de tous les sens, dangereux et problématique, pouvait cependant déboucher sur quelques découvertes en élargissant la perception.

            Ce préambule un peu pesant me permet maintenant d’aborder le vif du sujet. Si nos sens sont limités et si leur rôle est de traduire et de fournir des équivalences, pourquoi ne pourraient-ils pas tisser entre eux des relations subtiles, jusqu’à échanger leurs rôles ?

            Demander à des peintres de « représenter » des parfums peut paraître aussi gratuit qu’aventureux. Et d’un point de vue raisonnable seule la « licence poétique » peut permettre ce genre de divagations. Et pourtant il y a bien sept notes dans la gamme et sept couleurs forment l’arc-en-ciel, ce qui permet déjà d’avancer que, au moins, une harmonie de couleurs peut être comparée à une mélodie. Loin d’être uniquement vouée à la représentation objective dont la photo s’acquitte merveilleusement, la peinture peut être véritablement une musique visuelle.

            Par ailleurs les couleurs ne sont pas de simples « fréquences vibratoires », elles ont aussi un goût et une saveur. Si certaines sont « chaudes » ou « froides », elles peuvent aussi se révéler « sucrées », « salées » ou « acides » et par associations d’idées nous rappeler la saveur de la myrtille et des sous-bois aux senteurs de mousse humide. Du goût à l’odorat le passage est plus qu’évident et nous retrouverons toute la gamme des senteurs, fragrances et fumets capables de faire palpiter nos narines.

            Enfin la sensation, aussi fine et subtile soit-elle n’est pas tout. Au-delà, par-dessous et en périphérie se tissent nos états d’âme. Nous voilà maintenant dans le domaine de la poésie, celui des profondeurs de l’esprit où toutes les barrières rationnelles abolies, l’unité profonde de l’être se révèle, rayonnante. Là tous les échanges sont possibles, toutes les traductions valides. Et l’objet le plus trivial peut, à l’improviste, nous faire basculer dans la métaphysique.

            Accablé par l’ennui des plaisirs mondains Marcel Proust a, un beau jour, trouvé l’absolu dans la saveur d’une petite madeleine et d’une tasse de thé. Son exemple n’est pas unique mais requiert malgré tout l’usage d’une sensibilité un peu plus fine qu’à l’ordinaire.

            Enfin ce n’est pas un hasard si cette exposition s’appelle « Parfums de Femmes ». C‘est une évidence. D’abord parce que si le masculin est rationnel, efficace et guerrier, le féminin est à l’opposé intuitif, sensible et accueillant. Pour l’homme le combat et pour la femme la séduction. Et parmi les moyens de séduire, le parfum est un atout privilégié, parce qu’il fait rêver, qu’il ouvre des espaces de liberté intérieure et qu’il permet d’atteindre les profondeurs de la sensibilité. Et puis le parfum est indissolublement lié à l’amour. Depuis des temps immémoriaux les femmes ont su quel attrait pouvait susciter un bouquet de senteurs et de quel halo magique un parfum pouvait les auréoler. Surtout si il était fugace et insaisissable, ajoutant à l’attirance la subtile torture du désir impuissant à s’emparer d’un objet si évanescent.

            Le monde étant malgré tout cohérent, au moins au niveau symbolique, tous ces éléments vont pouvoir maintenant se rassembler et s’enrichir de significations croisées. Si peintres et sculpteurs se sont toujours intéressés à la femme, celle-ci et le parfum restent de vieux complices. Comme par ailleurs couleurs et parfums se répondent en subtiles résonances, harmonies chromatiques et bouquets de senteurs vont se compléter harmonieusement. Nous voyons apparaître ici l’idée du spectacle total, stimulant tous les sens et les invitant à coopérer pour créer des harmonies inédites.

                               

                                                       Préface du livre « Parfums de Femmes »

                                                       Editions Natiris – mai 2001

                                                                                                Copyright Christian Lepère 

 

 

350 Senteurs orientales 100 x 81 cm    

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18 avril 2010 7 18 /04 /avril /2010 06:54

                                  Dimanche matin

   371-Construction-de-l-Europe--100-x-81-cm.jpg

                              "Construction de l'Europe" - huile sur toile - 100 x 81 cm


      De longues traînées de nuages glissent lentement dans le ciel. De l’effiloché, du floconneux, nimbé d’ une infinie douceur. ça et là le soleil qui doit être en train d’émerger colore ces efflorescences d’un rose discret, peut être un peu mauve, peut être plus opalescent. Allez donc savoir, c’est si fugace et si changeant.

        Je suis derrière la fenêtre. La lumière calme d’un dimanche matin de Septembre baigne les résidences proches. Au-delà c’est le parc de Versailles, le Petit Trianon, le Hameau, les bosquets. Nostalgie. Vaine prétention des puissants. Le temps s’est écoulé depuis les fêtes galantes. Nous n’irons plus au bois et le fantôme de Marie-Antoinette n’est plus que top model dans les films d’Hollywood.

       Pour un savant tout est analysable et explicable. Le monde est régi par des lois sans faille : physiques, chimiques, climatiques, et leur jeu infiniment complexe et subtil peut produire l’invraisemblable diversité des spectacles naturels. Et il a raison le savant! Aux dernières nouvelles il peut affirmer que la précision des processus qui régissent la matière, qu’elle soit grossière ou subtile, est de l’ordre du milliardième de millimètre et du milliardième de seconde. Et bien sûr ce n’est pas fini. Avec de gigantesques accélérateurs de particules, des télescopes expédiés en apesanteur et échappant à l’opacité de l’atmosphère, des lasers de plus en plus puissants et concentrés, il va pouvoir affiner encore ses observations. Il est content le savant, enfin il va comprendre…

       Il y a donc un  déterminisme se révélant à nos yeux de plus en plus implacable, soumettant les constituants il règne aussi sur ce qui est constitué et qui va de l’amibe jusqu’à nous-mêmes, fleurons de l’évolution, homo sapiens persuadés de leur libre arbitre et tout confits de volonté personnelle.

       Je suis vacant, un peu flottant et vaguement désoeuvré. D’autres à ma place se vautreraient dans les délices de la paresse. Mais telle n’est pas ma nature.

       Maintenant sous mes yeux le ciel moutonne, le soleil caresse des amoncellements vaporeux qui dérivent avec langueur. Un petit hélicoptère apparaît comme une mouche noire minuscule puis disparaît. Combien d’hommes à bord, ou de femmes…? Et à quoi peuvent ils bien songer? De leur point de vue c’est forcément très différent. D’ailleurs de quel droit ai-je décrété qu’ils étaient plusieurs? Au fait, y aurait-il un spectacle objectif que tout un chacun pourrait observer à loisir pour dresser ensuite un rapport de gendarmerie?

       A tout instant mes petits neurones, avec diligence et efficacité tricotent de jolis napperons et prétendent ensuite, preuves à l’appui au besoin que c’est la pure vérité. Croix de bois, croix de fer…

       En réalité chacun est en train de percevoir ce qui, selon lui ou elle,  est important et significatif pour l’excellente raison que cela concerne son cas personnel. Le reste, négligeable, est superbement ignoré.

       Je me suis levé à sept heures vingt neuf après bien des hésitations. Parfois c’est le réveil qui me tire du lit, parfois d’autres raisons plus subtilement personnelles. Mais il y a toujours des raisons et ces raisons sont toujours personnelles. Forcément puisque un autre en ferait fi. D’ailleurs cet autre est aussi moi-même qui au fil des minutes ne va pas réagir de façon semblable aux mêmes données « objectives ».

       Ah, si je m’étais levé trente secondes plus tard, si je n’avais pas traîné les pieds dans l’entrée, si je n’avais pas regardé par la fenêtre au lieu d’allumer la radio, et si… et si… Oui,mais voilà, c’est fait c’est fait. Et aurais-je vraiment pu faire autrement?

       Pendant ce temps le spectacle du monde se poursuit imperturbablement. Le soleil tourne, le vent se lève, la pluie menacerait-elle? Ou au contraire les nuages vont-ils être balayés? On verra bien. C’est dimanche. Et puis on n’y peut rien. Pas plus d’ailleurs pour notre monde intérieur si fluctuant que pour la pluie et le beau temps qui sont comme le Bon Dieu les fait.             

          Il ne me reste plus maintenant qu’à me dire que si je viens de rédiger ce texte à la hâte, c’est sans doute pour d’excellentes raisons mais qui , à mes yeux , restent pour le moment un peu obscures.

 

                                                                     Le Chesnay le 24 Septembre 2006


                                                                            Copyright Christian Lepère

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17 avril 2010 6 17 /04 /avril /2010 09:55

 

                                        393 Mimétisme 65 x 54 cm

 

MASQUES ET MIROIRS

 

 

       Le masque est fort ancien et les plus antiques civilisations y ont eu recours. Religieux ou magique son emploi fut dès les origines réservé à des pratiques rituelles. Le but était d’incarner des forces surnaturelles, figurer des totems et agir sur les parts les plus obscures du psychisme pour susciter des réactions.

       Mais il ne faut pas oublier la fête et le jeu. Le jeu, voilà qui va plaire aux enfants, eux qui encore proches de leur venue au monde n’ont pas eu tout à fait le temps de s’identifier lourdement à la forme humaine. Et  si j’étais un crapaud ? un zébu ? ou la lune ? Et si j’étais toi ?

         Alors on se déguise, on se grime, on porte des oripeaux. Et bien sûr on perd son identité.

Or, que voit-on sur une carte d’identité ? Le visage, de face et inexpressif. C’est donc à cela qu’il va falloir remédier au plus vite. Et de se cacher, de se masquer séance tenante. Mickey ou le capitaine Crochet ? La Belle ou la Bête ? La sorcière d’Halloween ou la belle Dame Vénitienne ?

        Ainsi autorisés, tels des enfants, les peintres peuvent laisser libre cours à leur imagination. Et de Breughel à Ensor, nombreux sont ceux qui ont masqué leurs personnages pour mieux dire leur vérité. Car le masque cache et transforme, mais ce n’est bien souvent que pour mieux trahir celui qui le porte. Après tout, se déguiser ne serait-il pas le moyen le plus sûr d’avouer ce que l’on est au fin fond du tréfonds ? Ce que l’on n’ose montrer dans les circonstances ordinaires où l’on se doit d’être poli et propre sur sa personne.

       Mais si l’apparence peut se présenter masquée, elle peut aussi être reflétée, c'est-à-dire doublée en rebondissant dans un miroir. Il est donc temps d’aborder ce second aspect du thème, celui du miroir et de son objectivité. Or cette dernière n’a pas toujours été le point fort des artistes.

       Bien sûr, l’époque de la Renaissance fut celle d’un prodigieux renouveau d’intérêt pour l’étude scientifique des apparences. Se détournant de l’esprit traditionnel qui reposait sur une confiance religieuse dans l’harmonie ultime du monde, les chercheurs ont commencé à cette époque à prendre du recul  dans le but de mieux comprendre leur environnement. Ce n’était,  certes,  pas tout à fait gratuit  car la recherche pure a toujours débouché sur des applications  pratiques, notamment militaires. Léonard de Vinci ne saurait nous contredire…

         Mais il fallait avant tout comprendre comment tout cela fonctionne. Après avoir cru au  jeu du Destin implacable présidant au déroulement des événements, on arrivait à la conception plus pratique d’enchaînements physiques de causes et d’effets sur lesquels on pouvait agir. Toute la mentalité moderne allait en découler pour le meilleur et pour le pire. On s’est donc demandé, entre autres choses, comment fonctionnait la perception visuelle. La réponse fut évidente : selon les lois de l’optique dont les complexités allaient expliquer aussi bien les déformations de la perspective que les effets de miroir et les anamorphoses si chères aux artistes renaissants.

       Non contente de rebondir sur les « objets » pour nous renseigner sur leur présence, la lumière se permettait des parcours facétieux nous autorisant à voir simultanément l’avant, l’arrière et les profils. D’ingénieuses dispositions  allaient même organiser des échos à l’infini  entre miroirs se faisant face.

         Les peintres ne pouvaient négliger une telle aubaine pour enrichir leur vision. Ainsi Van Eyck dans son célèbre portrait  du banquier Arnolfini nous montre-t-il un intérieur flamand se réfléchissant dans un miroir en sorcière situé tout au fond. Parfait exemple de la vision en abyme qui allait être repris par bien d’autres.

        « Pourtant nos miroirs sont intègres… » a chanté un jour Jacques Brel, oubliant en cela qu’ils  peuvent  aussi déformer et trahir jusqu’à un certain point. Mais pour aller au-delà il faudra revenir à la nature et à ses surfaces aquatiques. Car si l’apaisement du crépuscule peut conférer à un étang la précision magique du miroir idéal, l’agitation des eaux peut aussi déformer sans vergogne les formes les plus strictes. Et faire chatoyer les couleurs. Les impressionnistes ont bien compris à quel point la mouvance des reflets pouvait enrichir leurs fantasmagories lumineuses. Mais ils étaient, eux, des artistes et des poètes et les apparentes contradictions de la réalité ne les inquiétaient guère.

                                                                                                                                                                                        

            Préface du livre "Masques et miroirs"  mai 2004 - Editions SAFIR

 

                                                        copyright Christian Lepère

 

 

      393 Mimétisme 65 x 54 cm

                              

 

 

                                                                                                                                                   

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