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17 avril 2010 6 17 /04 /avril /2010 09:55

 

                                        393 Mimétisme 65 x 54 cm

 

MASQUES ET MIROIRS

 

 

       Le masque est fort ancien et les plus antiques civilisations y ont eu recours. Religieux ou magique son emploi fut dès les origines réservé à des pratiques rituelles. Le but était d’incarner des forces surnaturelles, figurer des totems et agir sur les parts les plus obscures du psychisme pour susciter des réactions.

       Mais il ne faut pas oublier la fête et le jeu. Le jeu, voilà qui va plaire aux enfants, eux qui encore proches de leur venue au monde n’ont pas eu tout à fait le temps de s’identifier lourdement à la forme humaine. Et  si j’étais un crapaud ? un zébu ? ou la lune ? Et si j’étais toi ?

         Alors on se déguise, on se grime, on porte des oripeaux. Et bien sûr on perd son identité.

Or, que voit-on sur une carte d’identité ? Le visage, de face et inexpressif. C’est donc à cela qu’il va falloir remédier au plus vite. Et de se cacher, de se masquer séance tenante. Mickey ou le capitaine Crochet ? La Belle ou la Bête ? La sorcière d’Halloween ou la belle Dame Vénitienne ?

        Ainsi autorisés, tels des enfants, les peintres peuvent laisser libre cours à leur imagination. Et de Breughel à Ensor, nombreux sont ceux qui ont masqué leurs personnages pour mieux dire leur vérité. Car le masque cache et transforme, mais ce n’est bien souvent que pour mieux trahir celui qui le porte. Après tout, se déguiser ne serait-il pas le moyen le plus sûr d’avouer ce que l’on est au fin fond du tréfonds ? Ce que l’on n’ose montrer dans les circonstances ordinaires où l’on se doit d’être poli et propre sur sa personne.

       Mais si l’apparence peut se présenter masquée, elle peut aussi être reflétée, c'est-à-dire doublée en rebondissant dans un miroir. Il est donc temps d’aborder ce second aspect du thème, celui du miroir et de son objectivité. Or cette dernière n’a pas toujours été le point fort des artistes.

       Bien sûr, l’époque de la Renaissance fut celle d’un prodigieux renouveau d’intérêt pour l’étude scientifique des apparences. Se détournant de l’esprit traditionnel qui reposait sur une confiance religieuse dans l’harmonie ultime du monde, les chercheurs ont commencé à cette époque à prendre du recul  dans le but de mieux comprendre leur environnement. Ce n’était,  certes,  pas tout à fait gratuit  car la recherche pure a toujours débouché sur des applications  pratiques, notamment militaires. Léonard de Vinci ne saurait nous contredire…

         Mais il fallait avant tout comprendre comment tout cela fonctionne. Après avoir cru au  jeu du Destin implacable présidant au déroulement des événements, on arrivait à la conception plus pratique d’enchaînements physiques de causes et d’effets sur lesquels on pouvait agir. Toute la mentalité moderne allait en découler pour le meilleur et pour le pire. On s’est donc demandé, entre autres choses, comment fonctionnait la perception visuelle. La réponse fut évidente : selon les lois de l’optique dont les complexités allaient expliquer aussi bien les déformations de la perspective que les effets de miroir et les anamorphoses si chères aux artistes renaissants.

       Non contente de rebondir sur les « objets » pour nous renseigner sur leur présence, la lumière se permettait des parcours facétieux nous autorisant à voir simultanément l’avant, l’arrière et les profils. D’ingénieuses dispositions  allaient même organiser des échos à l’infini  entre miroirs se faisant face.

         Les peintres ne pouvaient négliger une telle aubaine pour enrichir leur vision. Ainsi Van Eyck dans son célèbre portrait  du banquier Arnolfini nous montre-t-il un intérieur flamand se réfléchissant dans un miroir en sorcière situé tout au fond. Parfait exemple de la vision en abyme qui allait être repris par bien d’autres.

        « Pourtant nos miroirs sont intègres… » a chanté un jour Jacques Brel, oubliant en cela qu’ils  peuvent  aussi déformer et trahir jusqu’à un certain point. Mais pour aller au-delà il faudra revenir à la nature et à ses surfaces aquatiques. Car si l’apaisement du crépuscule peut conférer à un étang la précision magique du miroir idéal, l’agitation des eaux peut aussi déformer sans vergogne les formes les plus strictes. Et faire chatoyer les couleurs. Les impressionnistes ont bien compris à quel point la mouvance des reflets pouvait enrichir leurs fantasmagories lumineuses. Mais ils étaient, eux, des artistes et des poètes et les apparentes contradictions de la réalité ne les inquiétaient guère.

                                                                                                                                                                                        

            Préface du livre "Masques et miroirs"  mai 2004 - Editions SAFIR

 

                                                        copyright Christian Lepère

 

 

      393 Mimétisme 65 x 54 cm

                              

 

 

                                                                                                                                                   

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