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18 avril 2010 7 18 /04 /avril /2010 11:27

PARFUMS DE FEMMES


         Disposant de nos cinq sens, nous nous imaginons naïvement qu’ils nous renseignent objectivement sur le monde où nous vivons et nous croyons dur comme fer que les autres vont jouir de cette même vision indiscutable.

            Semblable croyance prouve que nous ignorons tout des mécanismes qui nous permettent d’appréhender la réalité. Certes celle-ci existe et nous ne sommes pas nous même de pures illusions, mais de là à s’imaginer qu’un sujet observe un objet directement et sans altération…

            La réalité est beaucoup plus dans la perception  et sans observateur il n’y a rien à observer. Ainsi le merveilleux spectacle de la nature n’existe que dans notre esprit. Le sous-bois le plus poétique où fleurit le muguet et tout vibrant de chants d’oiseaux n’a en réalité ni son, ni couleur ni parfum. Ceux-ci ne sont que des transcriptions de messages chimiques, électromagnétiques et vibratoires qui, en atteignant nos yeux et nos oreilles, se trouvent traduits en sensations puis en perceptions. Et bien sûr qui dit traduction dit modification, même si il y a équivalence.

            Rassurons nous : tout le monde percevra bien à peu près le même parfum mais simplement parce que nos narines fonctionnent toutes de façon assez comparable. Comparable mais pas tout a fait identique… Et c’est pourquoi Pierre va adorer ce qui déplait à Paul. A cela il faudra ajouter la marge d’appréciation due à la culture et aux événements qui nous ont façonnés dans l’enfance. Nous ne voyons donc pas la réalité mais un spectacle intérieur, et cette version personnelle dépend bien sûr de nos organes. Nos rétines seraient-elles différentes qu’elles percevraient d’autres longueurs d’ondes. Ainsi nous pourrions voir les ultraviolets ou les rayons x, privilège dont bénéficient certains animaux

            Cette vérité a fait dresser l’oreille de quelques uns, poètes, philosophes ou hommes de simple bon sens. Car après tout si nos sens nous fournissent des traductions, ce ne sont sans doute pas les seules possibles.

            Baudelaire et Rimbaud après avoir tenté des expériences parfois bien aventureuses ont vu que l’usage de nos sens restait, pour des raisons sociales très conventionnel, et que c’était par simple habitude que nous nous figions dans des visions schématiques et stéréotypées du monde. Le dérèglement systématique de tous les sens, dangereux et problématique, pouvait cependant déboucher sur quelques découvertes en élargissant la perception.

            Ce préambule un peu pesant me permet maintenant d’aborder le vif du sujet. Si nos sens sont limités et si leur rôle est de traduire et de fournir des équivalences, pourquoi ne pourraient-ils pas tisser entre eux des relations subtiles, jusqu’à échanger leurs rôles ?

            Demander à des peintres de « représenter » des parfums peut paraître aussi gratuit qu’aventureux. Et d’un point de vue raisonnable seule la « licence poétique » peut permettre ce genre de divagations. Et pourtant il y a bien sept notes dans la gamme et sept couleurs forment l’arc-en-ciel, ce qui permet déjà d’avancer que, au moins, une harmonie de couleurs peut être comparée à une mélodie. Loin d’être uniquement vouée à la représentation objective dont la photo s’acquitte merveilleusement, la peinture peut être véritablement une musique visuelle.

            Par ailleurs les couleurs ne sont pas de simples « fréquences vibratoires », elles ont aussi un goût et une saveur. Si certaines sont « chaudes » ou « froides », elles peuvent aussi se révéler « sucrées », « salées » ou « acides » et par associations d’idées nous rappeler la saveur de la myrtille et des sous-bois aux senteurs de mousse humide. Du goût à l’odorat le passage est plus qu’évident et nous retrouverons toute la gamme des senteurs, fragrances et fumets capables de faire palpiter nos narines.

            Enfin la sensation, aussi fine et subtile soit-elle n’est pas tout. Au-delà, par-dessous et en périphérie se tissent nos états d’âme. Nous voilà maintenant dans le domaine de la poésie, celui des profondeurs de l’esprit où toutes les barrières rationnelles abolies, l’unité profonde de l’être se révèle, rayonnante. Là tous les échanges sont possibles, toutes les traductions valides. Et l’objet le plus trivial peut, à l’improviste, nous faire basculer dans la métaphysique.

            Accablé par l’ennui des plaisirs mondains Marcel Proust a, un beau jour, trouvé l’absolu dans la saveur d’une petite madeleine et d’une tasse de thé. Son exemple n’est pas unique mais requiert malgré tout l’usage d’une sensibilité un peu plus fine qu’à l’ordinaire.

            Enfin ce n’est pas un hasard si cette exposition s’appelle « Parfums de Femmes ». C‘est une évidence. D’abord parce que si le masculin est rationnel, efficace et guerrier, le féminin est à l’opposé intuitif, sensible et accueillant. Pour l’homme le combat et pour la femme la séduction. Et parmi les moyens de séduire, le parfum est un atout privilégié, parce qu’il fait rêver, qu’il ouvre des espaces de liberté intérieure et qu’il permet d’atteindre les profondeurs de la sensibilité. Et puis le parfum est indissolublement lié à l’amour. Depuis des temps immémoriaux les femmes ont su quel attrait pouvait susciter un bouquet de senteurs et de quel halo magique un parfum pouvait les auréoler. Surtout si il était fugace et insaisissable, ajoutant à l’attirance la subtile torture du désir impuissant à s’emparer d’un objet si évanescent.

            Le monde étant malgré tout cohérent, au moins au niveau symbolique, tous ces éléments vont pouvoir maintenant se rassembler et s’enrichir de significations croisées. Si peintres et sculpteurs se sont toujours intéressés à la femme, celle-ci et le parfum restent de vieux complices. Comme par ailleurs couleurs et parfums se répondent en subtiles résonances, harmonies chromatiques et bouquets de senteurs vont se compléter harmonieusement. Nous voyons apparaître ici l’idée du spectacle total, stimulant tous les sens et les invitant à coopérer pour créer des harmonies inédites.

                               

                                                       Préface du livre « Parfums de Femmes »

                                                       Editions Natiris – mai 2001

                                                                                                Copyright Christian Lepère 

 

 

350 Senteurs orientales 100 x 81 cm    

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