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15 janvier 2018 1 15 /01 /janvier /2018 12:45
"Babel au fil du temps" - huile sur toile - 75 x 54 cm - 1998

"Babel au fil du temps" - huile sur toile - 75 x 54 cm - 1998

Echec et mat

 

           Revenant de Paris par mon train de banlieue habituel je m’apprêtais à faire chauffer ma soupe. Le téléphone sonne. C’est mon fils facteur en Ardèche. Grâce à la vie campagnarde qu’il mène, il a du temps pour se livrer à des réflexions sur le monde et sur son évolution. Avec l’aide d’internet il y arrive.

           Depuis peu il s’intéresse aux échecs. Non pas aux énormes possibilités de stratégie offertes par les 64 cases, mais plutôt à toutes les significations sociales et symboliques de ce jeu. Sans oublier tout ce qui motive les champions à améliorer leurs performances. Il s’agit donc d’une vue critique de ce passe-temps pour intellectuels fiers de l’être.

           On connaît les motivations du joueur : vaincre l’adversaire en prouvant sa supériorité conceptuelle. C’est donc une affaire de pouvoir se devant de relever tous les défis. Pour le champion mondial, très au-dessus de la mêlée, il ne restait en dernier recours qu’un combat pour prouver sa supériorité,  se battre contre l’ordinateur. Ce qui fût fait dès la fin des années 90. Kasparov alors maître du jeu échoua. La machine l’avait vaincu. Puis ce fût le tour de Kramnik.

           Dès lors les ordinateurs voyant leur puissance s’accroître de façon exponentielle et la complexité de leurs logiciels s’améliorer sans cesse il devenait évident que l’homme était mis hors-jeu. Ce qui ne prouve nullement une intelligence supérieure de la part de la machine. Car elle est stupide et mécanique à souhait. Sa supériorité réside dans l’invraisemblable vitesse et capacité de calcul au niveau électronique. L’ordinateur est un imbécile effroyablement rapide. Il remplace toute recherche intelligente par la comparaison systématique de toutes les possibilités. Du moins si l’intelligence qui l’a conçu lui a fourni les logiciels les mieux adaptés. Car le programmateur peut, lui, être intelligent et avisé.

           Jusque- là tout résidait dans la puissance de calcul qui peut être améliorée indéfiniment en accroissant la taille et la finesse des circuits et surtout en faisant travailler des machines en bandes organisées. Et cela au niveau mondial et en temps réel.

           Mais le progrès n’est pas que linéaire et voilà que Google s’en mêle. Dans son besoin de domination quelque peu paranoïaque voici que la firme mondiale crée un tout nouvel ordinateur véritablement révolutionnaire. Finies l’accumulation d’information, la mise en mémoire de toutes les expériences tentées, la récolte de données obtenues en testant tous les possibles.

           Le nouvel ordinateur n’a plus besoin que d’une chose : la connaissance absolue des règles du jeu et de tout ce qu’elles impliquent. Finies les banques de données et les stratégies mémorisées. A ce moment l’homme est totalement vaincu car il n’avait pu progresser que par ces moyens devenus désuets. C’est la fin de l’accumulation d’expérience par la connaissance de tout ce qui a été tenté. C’est la fin de l’amélioration progressive par l’intégration de données nouvelles et le progrès indéfini de la somme des acquis.

           Mais revenons-en à l’homme. Ce qui l’intéresse c’est de vaincre un adversaire, pas de progresser indéfiniment pour atteindre une toute-puissance hors de portée. C’est du moins ce qu’il s’obstine à affirmer. Alors on a inventé des règles à tous les jeux. On a fixé des limites et on a réglementé tout ce qui peut améliorer les performances par le biais d’améliorations techniques. Celles-ci ont été très nombreuses, depuis l’invention du vélo et de la perche à sauter. Depuis la création des palmes du nageur jusqu’au parapente. Mais en même temps on permettait à tout-un-chacun de bénéficier des mêmes avantages.

           Dans le fond peu importe la performance, ce qui compte c’est de prouver qu’on est le meilleur, le chef, le mâle dominant ou la super-femme ce qui revient au même. Bref qu’on est le meilleur dans sa catégorie en se mesurant à l’ego de son semblable dont l’ambition est identique. On sait ainsi à quoi l’on joue et à quoi ça sert. Et pour se rassurer il n’y a pas mieux.

 

                                                                  Le Chesnay le 15 janvier 2018

                                                                  Copyright Christian Lepère

 

"Babel au fil du temps" - détails

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373 - Échec et mat

A quoi ça sert d'être

le meilleur

si

les autres

sont nuls et insignifiants?

(Lao-Tseu ou Epictète?)

 

 

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