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28 mars 2017 2 28 /03 /mars /2017 08:20
"Effervescence d'un ciel changeant" - huile sur toile - 46 x 38 cm - 2009

"Effervescence d'un ciel changeant" - huile sur toile - 46 x 38 cm - 2009

Clovis ou l’appel du large

 

           « Un jour je mourirai sans avoir vu Machu Pichu… ». Voilà la triste conclusion qui s’était imposée à son esprit accablé dans sa fraîcheur enfantine. Pourtant Clovis présentait encore bien. Le cheveu grisonnant mais le mollet nerveux et la mâchoire toujours carnassière alors que le temps continuait de s’écouler irrémédiablement piétinant ses illusions à coup d’occasions manquées.

           Pourtant il avait été un jeune homme plein d’allant affamé de découvrir le vaste monde. Mais voilà, qu’après l’ivresse des découvertes dejadis  la vie s’était affadie. Pleine d’obligations convenues et de comportements qui ne l’étaient pas moins.

           Mais remontons hardiment le cours du temps. Replongeons- nous dans les origines de sa jeune sensibilité. Depuis sa naissance dans le 11°, cet arrondissement peu connu de la capitale parce qu’un peu excentré sans être franchement périphérique. Un quartier vaguement anonyme mais riche en découvertes pour qui sait déambuler les bras ballants et l’âme vacante.

           Remontant dans son enfance il se souvenait avec émoi de ses attentes et de ses désirs de vastitude quand, au détour des pages glacées d’une revue de bonne tenue, il découvrait des contrées lointaines au parfum exotique. De la mer noire dont le nom  lugubre le faisait frémir au désert de Gobi de meilleure réputation. Des étendues sableuses cernant les pyramides aux côtes escarpées du Péloponnèse. Du cours majestueux de l’Amazone aux pics altiers des Sierra Nevada de l’Ancien et du Nouveau Monde.

           Parfois on l’emmenait au cinéma. Alors, au détour d’un documentaire, le lent roulis des caravanes berçait son âme et le plongeait dans des torpeurs enivrantes. Les mélopées, les transes d’étranges autochtones se livrant à des rituels mystérieux lui faisaient entrevoir un au-delà de son quotidien.

           Bien sûr cette nostalgie de l’ailleurs, cet appel vers les lointains azurés l’avait entraîné à aller voir plus loin que le bout de son nez ou les murs pourtant joliment décorés de sa petite chambre.

           Déjà tout petit quand sa famille habitait au second étage d’un immeuble de bel aspect, un peu Haussmannien mais sans plus il lui arrivait de céder à la tentation d’aller voir plus loin et plus haut. De poursuivre l’escalade et de finir par atteindre le 5° étage. Etrange expédition ! La spirale obscure de l’escalier devenait plus claire au point d’éclater dans une lumière intense en arrivant en haut. Mais ce n’était pas tout car la topologie des lieux changeait. D’abord le palier était plus étroit, les portes plus serrées. C’est que sous les toits un balcon bordait tout le long de la façade empiétant sur la surface habitable. Mais si les lieux étaient plus petits, ils étaient aussi plus lumineux. Ce n’était pas le paradis mais au moins ses abords. Et il en redescendait dans un état tout imprégné d’une douce exaltation.

           Pour aller à la petite école il avait le choix entre plusieurs parcours. D’abord la voie directe, sûre et approuvée par l’autorité parentale. Ou alors le chemin des écoliers et ses diverse variantes. Ainsi on pouvait longer le square et ses vertes frondaisons, surtout à la belle saison. Mais on pouvait aussi couper entre des immeubles grisâtres et passer par une petite rue dérobée se terminant en impasse. Mais il suffisait d’en sortir par un pas de côté en bifurquant à gauche.  De toute façon c’était l’aventure avec son lot d’inattendu, son exaltation aventureuse ou son morne accablement suivant l’état de ses pensées.

           Quel qu’il fût le trajet permettait aussi de longer quelques devantures, la papeterie où se cachaient des livres étranges parlant d’astronomie ou de sciences très occultes pour une âme puérile. Tout cela pour vous dire que Clovis qui n’était pas né de la dernière couvée s’était toujours senti attiré  par les contrées lointaines où siégeaient avec majesté Machu Pichu et la cordillère des Andes. Celles qui nous promettent monts et merveilles à la vitrine des agences de voyage, mais aussi celles qu’une éducation religieuse de bon ton lui faisait entrevoir. Emporté il rêvait de Jeanne d’Arc la sainte pucelle et autres saints anachorètes perchés sur des colonnes au milieu du désert le plus hostile. Les meilleurs restant en équilibre sur un pied du matin au soir, voire plus pour les plus exaltés. Le Golgotha le terrifiait mais la gloire de Jérusalem au soleil couchant le faisait fondre en actions de grâce. Enfin Rome, lieu de tous les supplices de tous les saints et de leurs camarades d’agonie lui arrachait des larmes de compassion attendrie.

           A l’adolescence il commença à s’émanciper, en profitant pour aller plus loin que la station de métro qui pourtant était le début d’explorations sans fin menant même jusqu’au trajet aérien qui permet de dominer Paris et sa multitude empressée. Et de descendre à Barbès où une foules multicolore et interlope vous plonge dans des ambiances de souk au cœur d’un Orient rêvé, pouilleux et rutilant, digne de Shéhérazade.

           Mais l’air pur de la campagne l’attirait. C’est ainsi que dépassant les abords du hameau où sa famille avait une petite maison qui l’abritait pendant les vacances il  aborda le village qu’il atteignit en vélo. Puis poussant l’audace et reculant sans cesse les limites du possible il fit irruption dans d’autres communes où il découvrit des autochtones bourrus bien qu’ils fusent de race blanche comme lui. Enfin presque tous car la guerre qui les avait poussés vers une terre plus accueillante avait amené des réfugiés sous divers prétextes  qui depuis s’étaient fondus dans le paysage. Ainsi le cordonnier et l’ouvrier agricole étaient-ils devenus des citoyens sans histoires, gaulois comme tout un chacun même s’ils se prénommaient Ibrahim ou Melchior.

           Enfin n’y résistant plus il partit vers les lointains brumeux, les monts du Morvan dont la ligne bleutée l’appelait vers cet horizon qui ne cesse de reculer à mesure qu’on croit s’en rapprocher.

           Mais sa passion était farouche, sa détermination assurée. C’est ainsi qu’il visita l’Europe, du moins celle limitrophe de sa patrie qui restait à ses yeux le centre du monde civilisé.

           Cependant la télévision soutenue par la complicité des autres médias ne cessait d’ouvrir des meurtrières dans les frontières du monde connu de lui. Ainsi il découvrit d’autres cultures et d’autres façons d’envisager notre présence au monde. Tout cela était étrange et bien déroutant. Mais vaille que vaille il finit par acquérir un ordinateur et se retrouva branché sur le Web qui l’entraîna dans sa ronde en le surinformant.

           Et voilà pourquoi il se retrouvait en ce jour de bilan s’avouant qu’il ne verrai jamais Machu Pichu qui pourtant mérite le détour si l’on en croit les personnes bien informées. Je ne peux que compatir avec sa tristesse mais j’espère en sa compréhension. Peut-être arrivera-t-il  enfin à l’évidence que Machu Pichu n’est pas ailleurs, ni plus loin, ni au-delà mais au-dedans au plus profond de son for intérieur et que le chercher ailleurs est tout à fait vain. Si ce n’est désopilant.

 

                                                       Le Chesnay le 5 mars 2017

                                                       Copyright Christian Lepère

"Effervescence d'un ciel changeant" - détails

"Effervescence d'un ciel changeant" - détails

334 Clovis ou l'appel du large
334 Clovis ou l'appel du large

Laissons Clovis à son destin

et en attendant poursuivons le nôtre

dont nous sommes irrémédiablement responsable...

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