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7 mars 2013 4 07 /03 /mars /2013 08:27

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                                               Détail de "Bouquet d'anges pour guérilla urbaine" - huile sur toile - 1998

 

 

Monter à Paris

 

        Lentement la nuit s’est dissipée. A l’est une lueur diffuse est apparue et petit à petit le jour s’est levé. Lentement, sans hâte, en prenant son temps. Mais déjà il neigeait ou plutôt il neigeottait car ces quelques flocons épars, légers comme duvet de cygne ne pouvaient prétendre à mériter le nom d’averse. Et toute la journée ce lent saupoudrage allait se poursuivre. Paisible et monotone, éternel en quelque sorte.

            Mais j’avais prévu d’aller à Paris et pour ce faire il me fallait atteindre la gare  Rive Droite avant de me laisser véhiculer par un train de banlieue. Toujours lent et précautionneux le voyage le fût encore plus que d’habitude. Etat des voies ? Travaux d’entretien ? Ou cause plus aléatoire ? Il ne fallait pas être pressé. Mais la capitale mérite bien un peu de patience.

            Après l’accueil chaleureux de la gare puis du métro me voici à la place de la République. Après la chaude proximité des souterrains, C’est le froid revigorant de l’air libre. Il reste à remonter le boulevard de Magenta. Vaste artère s’élevant doucement vers les gares de l’Est et du Nord. L’ambiance est nocturne. Les éclairages très localisés font surgir de l’ombre des pans de réalité urbaine : porte cochère surmontée d’un tympan sculpté, caryatides soutenant un balcon et reflets métalliques sur la grille d’entrée à accès codé d’un immeuble de type Haussmann. Mais le progrès est présent et la collecte des ordures parsème le sol de sacs divers en plastique, plus ou moins bien ficelés et laissant souvent échapper leur contenu. Nous voilà renseignés sur les mœurs citadines actuelles. Du pot de yaourt bio et à la banane aux lambeaux indescriptibles de rebuts ménagers vestimentaires, sans omettre l’amas d’arêtes et de viscères de poissons structurant un amalgame de légumes avariés et lui donnant corps et consistance.

            Plus loin des ribambelles de sachets de textures variées volettent poussées par un petit vent glacial. Tels des confettis aux couleurs chatoyantes emportés de ci de là par des tourbillons gracieux et fantasques.

            Sous les portes cochères des types plus ou moins bien fument leurs clopes ou se racontent des blagues salaces en se poussant du coude. Leur désoeuvrement est flagrant et rien ne les presse. D’ailleurs que pourraient-ils envisager d’autre ? Ils ont toute la vie devant eux pour se battre les flancs et tenter leur chance au Rapido. L’ambiance n’est pas au raffinement. D’ailleurs on se rapproche de la gare de l’Est et de ses abords interlopes. Ici la faune est bigarrée, polychrome et pleine de pulsions latentes. Elle se livre à des activités diverses, plus ou moins lucratives et pas toujours recommandables.

            La foule se fait plus compacte, la densité de bars et de restaurants prend des proportions grandioses et la chaleur humaine gagne en intensité. Le luxe côtoie l’indigence. La foule cerne la solitude. Des s.d.f. vautrés dans leur manque se laissent contourner par des nantis tout occupés à se hâter vers les départs et les horizons lointains. Et voici la gare du Nord. Restaurée, décapée elle a noble allure. Des rangées de blanches statues se dressent sous les feux des projecteurs et le grand bâtiment de pierre taillée jouxte une adjonction récente toute de verre et de métal, illuminée de l’intérieur. La circulation est chaotique. Et pourtant dans l’ensemble la régulation des feux tricolores est respectée. Tout au moins pour les véhicules, les piétons en prenant plus à leur aise au péril de leur intégrité physique.

            Après cette immersion dans le bouillon de culture parisien, retour à la case départ. Sortant de la gare de Versailles à cette heure tardive, il me reste à regagner mon domicile en coupant par tout un dédale de petites rues. Et notamment par l’une d’entre elles que je fréquente bien souvent.  Elle longe un vieux cimetière et est d’ordinaire plutôt paisible. Coupant un quartier de maisonnettes et d’immeubles bas elle permet de relier l’artère principale qui coupe Versailles du sud au nord à l’imposante place de la Loi. Elle est donc peu fréquentée aux heures creuses mais est bien connue de tous ceux qui veulent éviter les boulevards menant au cœur du royaume et saturés aux heures de pointe. Son utilisation est donc alternée, du vide paisible et provincial à la file fiévreuse et ininterrompue de la sortie des écoles.

            Pour lors il se fait tard et le lieu est désert. La neige fine qui n’a cessé depuis l’aube de blanchir le sol avec obstination fond gentiment pour former une soupe peu homogène qui glisse sous les semelles. Mais elle reste recouverte d’une encore plus fine pellicule blanche pareille à un délicat saupoudrage de sucre glacé sur une pâtisserie de luxe. Et ça change tout car ce revêtement conserve des traces de tout ce qui l’a piétiné. Voilà donc des empreintes de pas, fines ou pesantes, régulières et assurées ou témoignant de dérapages non contrôlés… Des traces de pneus aussi, des plus discrètes aux plus insistantes, certaines presque lisses, d’autres ornées de quadrillages et de reliefs pleins de créativité graphique. Elles ont pour auteurs des taxis, des camionnettes et des vélos. Et tout cela forme un vaste réseau de courbes et de contre-courbes, de droites tendues ou fragmentées, superposées, conflictuelles, sans cesse remises en question. Elles créent sur le sol d’improbables compositions abstraites dont la richesse et l’inattendu renvoient l’art moderne et ses prétentions novatrices au rang de balbutiements incertains, pleins d’une bonne volonté touchante mais tellement naïve… Ici, sous mes pas défilent des variations graphiques d’une richesse surprenante et qui plus est sans cesse remises en question, sans cesse restructurées par de nouveaux apports. La créativité non-stop, en trois dimensions, plus la quatrième, celle du temps qui s’écoule. Pourquoi aller à Beaubourg béer devant les taches et éclaboussures d’un Pollock se vautrant dans sa frénésie picturale la plus indigente à l’usage des gogos éberlués par tant d’audace ?

 

        P1010262-copie.jpg                         P1010264 copie                          Sans-titre-1-copie-copie-2.jpg                          

            Mais l’homme est un être de culture. Il a besoin de références, de points de repères, de jalons historiques. Il lui faut de l’officiel, du reconnu, de l’authentifié par les élites. En gros du conformisme et du rassurant à tout prix. C’est bien pour cela que les mêmes qui condamnaient impitoyablement Picasso il n’y a pas si longtemps le tiennent maintenant pour un génie universel indiscutable. Le conformisme a changé de camp mais hélas pas de nature. Mais la créativité naturelle est tout aussi passante et fugace que l’autre, la culturelle. Deux degrés de plus au thermomètre et toute la féerie va fondre. Encore un petit degré et tout sera à nouveau sec, propre et grisâtre à souhait comme si rien ne s’était passé.

            C’est ainsi que voulez vous! « Après la pluie le beau temps ! » comme disait ma grand-mère échangeant avec une voisine le fruit de son expérience et de sa sagesse. Et d’ailleurs personne ne trouvait à y redire parce que dans ce temps là on était quand même un peu plus raisonnable !

 

                                                            Le Chesnay le 1 mars 2013

                                                            Copyright Christian Lepère 

 

 

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                       Détail de "Bouquet d'anges pour guérilla urbaine" - huile sur toile - 1998

 

 

 

Prochain épisode

 

En 1989

J’avais jeté quelques phrases sur le papier

Depuis elles ont dormi dans un tiroir.

Les revoici,

donc

Je persiste et signe "Le fond du problème"

 

     

 

 

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