"Aléas "Aléasde la conjoncture" - eau-forte imprimée sur Arches 38 x 57 cm - 1975
Au petit jeu de pile ou face
Chacun connaît ce petit jeu. Confrontés à un problème qui nous turlupine, incapables de choisir entre la peste et le choléra et souhaitant avoir la conscience tranquille on s’en remet au hasard.
Après bien des tergiversations on lance une pièce en l’air et on attend, pas longtemps il est vrai. Parfois elle tombe sur pile, parfois elle tombe sur face. Il arrive parfois que, ô surprise, mais c’est infiniment plus rare, elle retombe en équilibre sur la tranche et y reste contre toute attente. Mais qu’est-ce qui lui prend ? C’est pas possible… Je dirais même plus, ça n’est pas raisonnable !
Et pourtant…Ma main qui fait partie de ma personne est composée d’os, de chair, de sang et de tendons. N’oublions pas les ongles et les petits poils sur le dos de la main et les phalanges. N’oublions pas les empreintes digitales qui par leurs aspérités rugueuses vont retenir la pièce plus ou moins. N’oublions pas non plus la canicule qui rend ma main moite et glissante et, enfin, le coup de téléphone de tout à l’heure qui m’a appris la mort du petit chat et confirmé que Bachar el Assad se porte plutôt bien. Tout cela conjugué m’a rendu un peu nerveux et a perturbé mon équilibre psycho somatique plutôt satisfaisant d’ordinaire.
La liste des causes nécessaires et suffisantes pour justifier le résultat final est déjà assez longue mais toujours pas exhaustive. Donc celui-ci n’est toujours pas prévisible. Je ne connais pas encore tous les paramètres.
Ca me rappelle ma petite école communale de la rue St Maur (Paris – onzième). C’est là qu’on nous tourmentait avec des problèmes de robinets, de baignoires qui fuient et de trains qui doivent atteindre la Garenne Colombes en temps et heure de façon certaine. Mais là on trichait honteusement. On offrait à notre sagacité un faux problème, conçu par un pédagogue logicien dont le but était de nous tourmenter alors qu’il était l’heure du goûter ou d’aller jouer aux billes.
Ainsi donc un fait n’est prévisible que si l’on possède toutes les données pour le prévoir. Or, ma main lance la pièce, c’est la mienne, pas celle de ma sœur. On a déjà noté que nombre de ses caractéristiques entraient en jeu. A notre niveau macroscopique évidemment. Si l’on considère maintenant que ma main est un assemblage de cellules, que chacune de celles-ci est une monstrueuse usine biochimique dans laquelle un nombre invraisemblable d’échanges de molécules intervient à chaque microseconde et que au niveau atomique puis sub atomique c’est encore bien pire et infiniment plus rapide, on commence à se demander quel super-méga-giga ordinateur pourrait calculer tout ça et en déduire une probabilité statistique vaguement vraisemblable.
Ah j’oubliais ! Ma main lance la pièce. Celle-ci lui échappe. La voilà maintenant soumise aux lois physiques : la vitesse, le coefficient de pénétrabilité de l’air, la densité hygrométrique, la chaleur ambiante (qui peut aussi jouer sur mon moral) toutes variables qui ont maintenant leur mot à dire. Veuillez m’excuser mais j’oubliais l’interférence non négligeable des courants d’air…
Enfin la pièce retombe sur le trottoir ou sur la moquette. Et à nouveau une infinité de variables vont imposer leurs lois. Parce qu’enfin ma moquette ce n’est pas la vôtre, achetée à St Maclou et qui a des qualités très supérieures à celles du trottoir pour le confort de la voûte plantaire. Si tel est le cas le résultat va se trouver infléchi. Avec l’absence de rebond sur ce support moelleux les chances pour la pièce de se stabiliser seront beaucoup plus importantes, même si elles restent infinitésimales.
Enfin, ma main, la pièce, la moquette et celui qui lit ces lignes avec une patience admirable font partie intégrante du cosmos. Et c’est grand le cosmos ! Mais quand même organisé et cohérent. La science affirme que les lois physiques sont identiques sur Bételgeuse et Alpha du Centaure. Et bien au-delà sans doute…
Allons, bonnes gens, j’en ai terminé pour aujourd’hui. J’espère que ces quelques mots ne vous ont pas trop perturbés. Laissez moi donc vous souhaiter un prompt rétablissement en attendant la prochaine intervention d’un incurable inquiet qui ne peut s’empêcher de se compliquer la vie. Car après tout c’est son problème et pas le vôtre.
Le Chesnay le 27 août 2012
Copyright Christian Lepère
"Groupe hétérogène" - eau-forte - papier Arches:28 x 57 cm - 1978
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Prochain épisode : « Oui, mais quelle est la question ? »
Ce qu’il advint à un pauvre homme confronté à cette angoissante question sera exposé en détail, bien que de façon non exhaustive dans la prochaine chronique de ce blog.
En attendant faites de beaux rêves !
J’ai l’honneur de participer
a une exposition de gravures collective
avec 28 grandes eaux-fortes
et de nombreuses petites :