668 "depuis 81 ans"

"Contorsions" - 319 - dessin aquarellé - 32,5 x 50 cm - novembre 2023

Depuis 81 ans

Rapide aperçu sur ma vie

Depuis 81 ans, Christian Lepère vit sa vie. Bonne ou mauvaise. Triste ou joyeuse. Avec l’infinie complexité de toute existence humaine et les contradictions flagrantes inévitables dont seul le temps qui passe est responsable. Parce que, bien sûr, trouver un responsable semblerait pouvoir me procurer le réconfort de ne pas maîtriser ma vie

Cela étant établi, voyons maintenant le processus de plus près. Il se trouve qu’actuellement mon passé est en train de me rejoindre et se rappeler à mon bon souvenir, sans doute pour tenter un bilan de vie avant la fin, biologique et irrémédiable…

J’avoue qu’une seule vie me paraît totalement insuffisante pour construire un être humain. Dans ce sens les orientaux, infiniment plus nombreux depuis toujours que les « rationalistes pragmatiques occidentaux » que nous croyons être me semblent avoir des vues métaphysiques un peu plus réalistes. Considérant l’évolution de la vie et son unité profonde, ils ont toujours envisagé l’existence concrète ordinaire comme un minuscule épisode dans une histoire pour le moins « éternelle », si ce n’est plus.... Même si cette dernière semble avoir commencé avec le big bang alors que l’hypothèse de ce dernier n’interdit pas de se demander ce qu’il y avait forcément avant…(Vous savez, l’éternité c’est très long…).

Ce second point étant aussi dûment établi, je vais en arriver à des considérations plus concrètes sur ma propre existence, celle qu’on m’affirme avoir commencé à Paris (11^èmearrondissement) il y a bien des lustres.

Mon corps physique n’a aucune fixité. A chaque instant il se détruit et se reconstruit. Cela va bien au-delà des évidences ordinaires qui nous font observer un renouvellement journalier. A chaque repas nous reconstituons notre stock de protéines, puis nous allons vidanger les déchets. Mais en même temps nous devons respirer et là, c’est en quelques minutes que la mort nous guette. Au niveau microscopique c’est encore infiniment plus rapide puisque, au milliardième de seconde les échanges de particules atomiques se font sans relâche. Et je suis encore modeste et timoré sur la vitesse de renouvellement. Contre toute évidence je tente de m’accrocher à une matérialité du corps relevant pour le moins du souhait pieux ou de la croyance naïve. Certes, le corps est encombrant, fragile, et il faut en prendre grand soin, mais de là à croire n’être que lui…même s’il influence fortement nos pensées, nos ressentis et nos émotions. Un jour de cafard videz une bouteille de whisky comme ça, pour voir…êtes-vous toujours le ou la même ?

Mais un fait m’intrigue depuis toujours, car il y a ce que je suis concrètement, objectivement et qui change sans arrêt, soumis au temps qui passe. Et puis il y a ce que je ressens, ma présence globale depuis le début. Or là, curieusement je peux dire que rien n’a vraiment changé. Si je suis calme, détendu et paisible, je n’ai plus d’âge. Je n’ai plus d’histoire. Je ne suis plus qu’une présence qui ne peut dire d’elle-même que « Je suis ! ». Mais au fait n’attribue-t-on pas cette définition à Dieu déclarant (à Moïse ?) : « Je suis Celui qui EST ? ».

Voilà ! La boucle est bouclée, car si je suis ce qu’est Dieu on peut en conclure que, quel que soit leur réalité concrète, infiniment variée, les autres, tous les autres, les 8 milliards d’autres ne peuvent pas être autre chose que ce « JE SUIS ». Concluez comme vous le voulez, c’est votre droit le plus strict car, après tout, sous le règne de Macron 1^er nous vivons malgré tout en démocratie. Du moins en théorie. Et puis élargissons le débat : tout ce qui existe par ailleurs, depuis les cailloux en passant par les végétaux, les animaux et même les objets peut-il affirmer autre chose que ce « JE SUIS ? ».

La Brosse Conge le 2 décembre 2023

Copyright Christian Lepère