Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 décembre 2017 2 05 /12 /décembre /2017 08:35
"Elle en perdit la tête" - huile sur toile - 100 x 81 cm - 1986

"Elle en perdit la tête" - huile sur toile - 100 x 81 cm - 1986

 

Noir et blanc

Suite et fin

 

 

Mais j'en reviens à l'enfant. Se prenant pour Jean-Paul ou pour Noémie, le voilà qui prend son ours en peluche pour un ours en peluche. À partir de là, il n'a plus le choix. Ce qui l'aide à exister est bon, ce qui vient semer le doute est mauvais. La dualité est posée, ferme et définitive. Il ne reste plus ensuite qu'à jouer le jeu jusqu'au bout selon sa logique démente. Et voilà le départ de toute une vie hantée par le besoin de séparer le bien du mal et de classer les autres, tous les autres, hommes, bêtes et objets en deux catégories. Les bons qui m'aiment et me veulent du bien et les méchants qui vont m'anéantir.

 Chez l'adolescent la chose est bien connue, il faut que la classification soit immédiate et momentanément définitive. Tel chanteur de rock est génial et tel autre nul. Entre le zéro et l'infini pas de possibilité d'un juste milieu. C'est tout ou rien. Bien sûr c'est très caricatural, mais il n'est que d'observer qui que ce soit pour voir que tous nos fonctionnements continueront ensuite de reposer sur cette opposition fondamentale. Logique binaire d'ordinateur. Ça passe ou ça casse... Le problème est ensuite de fonctionner comme un adulte. Et là, apparemment les choses devraient s'arranger. L'observation des hommes politiques peut par exemple nous montrer des gens qui jonglent de façon extrêmement subtile avec les notions et arrivent à une grande ambivalence dans les appréciations. Auraient-ils donc réussi à dépasser le manichéisme de base? Auraient-ils enfin compris que les choses ne sont pas si simples? Qu'entre le noir et le blanc s'étend l'infinie diversité des gris et que d'ailleurs on peut passer de l'un à l'autre de façon tellement graduée qu'on oublie de s'en apercevoir? Ainsi la nuit est tombée si lentement par ce beau soir que d'un seul coup nous voilà surpris: il fait noir! On ne voit plus rien! Moment de trouble et de ravissement. Pendant que mes pensées avaient le dos tourné, voilà que la lumière estivale s'est subrepticement changée en son contraire. Et je n'en ai rien su!

Mais revenons à la politique et à ceux qui y croient. Auraient-ils donc enfin dépassé la naïve classification enfantine? Nullement! Ils ont simplement compris que les choses changeaient. A la place d'objets fixés et totalement définitifs, ils voient des objets terriblement fugaces, mais tout aussi fixés. Leur vision est celle de la caméra de cinéma qui a enregistre une suite extrêmement rapide d'images. Et certes la projection de ces images selon le rythme convenable va à nouveau nous faire croire à la fluidité de l’existence. Et pourtant ce ne sont toujours que des images distinctes, figées, séparées les unes des autres se succédant sans relâche. Seize images par seconde ne suffisant plus, on a affiné le processus et voilà maintenant que l'image est numérisée. A ce point et pour notre grossière sensibilité, l'illusion est totale, l'artifice entièrement masqué. Et pourtant quels que puissent être les progrès ultérieurs, il s'agit toujours de la même chose. Chaque point numérisé est toujours une entité, une chose, observable et définissable. Un objet placé devant le sujet. Et bien sûr cet objet ne peut être que bon ou mauvais. Comme son voisin. Ainsi la perversion essentielle de la perception directe des choses nous a conduits à une vision folle. Folle mais efficace puisqu'elle a permis toutes les découvertes scientifiques et dans la foulée la maîtrise technique et technologique sur quoi repose notre civilisation de progrès.

Alors, faudrait-il retourner en arrière, renoncer à tout l'acquis pour à nouveau battre le silex dans quelque grotte du Périgord? Et vivre de chasse et de cueillette? Allons, soyons sérieux, ce n'est pas en régressant que l'on verra le bout du tunnel. Ce n'est pas en refusant la technique la plus sophistiquée que l'on va acquérir le moindre soupçon de bon sens. Les bergers d'Arcadie étaient-ils plus sages que nous? Après tout peut-être, mais seulement dans l'exacte mesure ou ils ne se prenaient pas pour des bergers d'Arcadie. Alors que faire si l'on pense enfin avec juste raison que Socrate se prenant pour Socrate ne serait plus que Socrate? Et que de toute manière cela importe peu dans la mesure où il est mort et enterré depuis bien longtemps.

Que penser en son âme et conscience quand on a l'intime certitude que tout gît là dans ce constat : le bien et le mal sont relatifs et tous nos jugements ne valent que dans l'instant, confrontés à l'originalité inaliénable de chaque situation réelle. Que faire ou que penser?

Alors enfin coincés au pied du mur ne reste plus qu'une seule issue. Toutes nos opinions, tous nos préjugés reposent sur des données partielles et ne peuvent donc être que faux. Toute notre subjectivité ne fonctionne qu'en mode binaire. Rien ne nous prédispose à envisager les choses telles qu'elles sont et d'ailleurs une telle attitude serait l'exact opposé de celle qui dicte les comportements contemporains, où tout doit être soumis à l'intérêt personnel et au bon vouloir de nos désirs. Donc à la subjectivité la plus complète.

Alors l'issue est là béante, tellement simple et tellement inacceptable pour nos esprits confus s'attachant à la vaine recherche d'une sécurité. L'issue est là et elle ne peut-être que dans l'acceptation enfin vécue des situations réelles de notre vie, telles qu'elles se présentent, toutes crues et enfin dévêtues de leurs oripeaux de rationalisations mensongères. La vie telle quelle. Ni plus, ni moins.

 

                                                                    Le Chesnay le 24 décembre 1994

                                                                        Copyright Christian Lepère

 

 

367 - Noir et blanc (suite et fin)
367 - Noir et blanc (suite et fin)
367 - Noir et blanc (suite et fin)

Après ces hautes considérations

revenons-en

à nos

moutons

et aux aléas 

de notre quotidien

qui nous attend au tournant de la semaine à venir

 

Partager cet article
Repost0

commentaires