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2 novembre 2017 4 02 /11 /novembre /2017 08:40
"Le moribond" - Eau-forte imprimée sur Arches format Demi-Jésus - 1973

"Le moribond" - Eau-forte imprimée sur Arches format Demi-Jésus - 1973

 

 

 

Arsène

        Arsène était kleptomane. Il faut bien être quelque chose me direz-vous. Quand on n’a pas eu la chance d’être engendré là où il faut, il ne reste plus qu’à prendre des initiatives pour réparer l’injustice du sort.

           Il se prénommait donc Arsène comme Lupin et se demandait bien pourquoi. Ses parents étant des gens sans histoire, honnêtes comme tout un chacun. Alors pourquoi l’avoir fait parrainer par un gentleman cambrioleur ? Pour d’obscures raisons sans doute aussi inconscientes et relevant d’explications psychanalytiques dignes des spécialistes des profondeurs de l’âme. Pourtant quand il naquit on n’aurait pu supposer son futur destin.

           Donc Arsène il était, Arsène il demeurait. Rien dans son enfance n’avait été notable. Peut-être avait-il eu une tendance à subtiliser les billes de ses copains quand ceux-ci ne tenaient pas un compte très strict de ce qui remplissait leur sac ? Peut-être aussi avait-il eu une propension à ne pas remettre à leur place les engins de locomotion  qu’il avait empruntés sans le dire à leur propriétaire : patins à roulette et patinettes dont ses parents refusaient de le doter, le contraignant ainsi à se les procurer par des moyens détournés. Nécessité oblige.

           Mais son âme était noble et tel son homonyme digne de Robin des Bois il n’hésitait pas à réparer l’injustice et à redresser tous les torts, du moins ceux qui relevaient de ses compétences. Ainsi il n’hésitait pas à piquer des sous dans la casquette d’un pauvre mendiant à la mine renfrognée pour aller les mettre dans celle d’un autre qui avait su l’attendrir par une attitude plus souriante dévoilant un bon fond qui méritait l’estime. Parfois ses raisons étaient plutôt esthétiques et parfois plus éthiques, mais en tout cas venaient de son bon cœur.

           Un jour il s’était demandé pourquoi une grosse poufiasse, vraiment pas belle et parée de loques bariolées comme une créature de caravansérail avait réussi à attirer une telle quantité de menue-monnaie dans sa soucoupe alors qu’à deux pas une créature verdâtre échouée sur les rivages incertains de la gare St Lazare grelottait sous les restes vétustes d’un couvre-lit damassé enrichi d’antiques dentelles. Il avait donc fait le nécessaire pour réparer l’injustice. Sans doute parce qu’avait ressurgi dans son âme attendrie le souvenir d’une copine d’enfance que la misère de ses parents avait jetée à la rue vêtue de guenilles à deux pas d’une gare qui pour n’être pas dédiée à St Lazare n’en était pas moins un havre pour les miséreux. A chacun ses petites madeleines comme l’avait constaté le grand Marcel évoquant ses souvenirs lointains de génie littéraire.

           Mais Arsène avait aussi ses faiblesses. A être bon et généreux on n’en est pas moins homme. Par exemple il lui arriva un jour de suivre une jeune délurée à la fesse affriolante. Un chemisier coquin laissait entrevoir un décolleté aux profondeurs laiteuses.  Après un coup d’œil oblique, gêné par les badauds il se tenait coi mais le sac à main d’une rombière un peu mûre pendouillait mollement sur des hanches lourdes. Alors son instinct de prédateur s’était réveillé et c’est d’une main preste qu’il s’en empara avant d’aller s’acheter des caramels à la boulangerie la plus proche. Ce qu’il fit ensuite ne nous concerne plus et son destin continua de s’accomplir.

           Tout cela n’est guère moral me direz-vous. Et vous n’aurez pas tort. Mais convenez malgré tout que les circonstances sont atténuantes et sans un peu de laisser aller la vie serait bien triste et finirait par nous pousser aux dernières extrémités.

                                                                           Le Chesnay le 23 octobre 2017

                                                                           Copyright Christian Lepère

363 - Arsène
363 - Arsène

La vie est ainsi faite

et le destin irrémédiable.

Alors soyons joyeux!

A plus!

 

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