Chacun son tour
En traversant la rue il s'était fait écraser. Sans préavis. Sans sommation. Pourtant c'était un bon citoyen payant ses impôts aux dates prévues et respectant la loi. D'ailleurs il avait traversé dans le passage prévu pour les piétons et le petit bonhomme du feu tricolore était vert, totalement permissif. Mais le destin qui a bien d'autres préoccupations ne tient pas toujours un compte rigoureux des preuves de civilité.
Donc il était mort. Grièvement et sans appel. Autour quelques badauds s'étaient rassemblés et avaient prévenu police secours qui arriva sans délais. On ramassa le corps , très présentable à vrai dire. A peine contusionné et d'un seul tenant ce qui facilita les manipulations. Puis l'on se dispersa car chacun avait à faire.
Vous entretiendrais-je des pensées qui me sont survenues, des réflexions profondes et désabusées que j'ai nourries, des sentiments éprouvés en me disant que, peut-être, je l'avais échappé belle ?
Ah ! Si j'étais passé là à l'instant fatal, suivant de quelques mètres celui qui gisait maintenant et qui, allez donc savoir, aurait dans ce cas atteint l'autre trottoir sans problème… Se serait-il alors retourné pour constater mon trépas ? Aurait-il eu une pensée apitoyée devant mon triste sort ?
Mais je m'égare. Je fabule. J'invoque des faits imaginaires. Je m'emberlificote dans des suppositions alors que les faits relèvent de l'évidence. De la routine. De la rubrique des chiens écrasés et des faits divers pour sous-préfecture. Alors, sans plus s’appesantir il ne nous reste plus qu'à boire un bon coup, remonter nos bretelles et tenter vaille que vaille de reprendre espoir. Après tout la vie est belle, l'automne arrive et de multiples splendeurs nous attendent dans les sous-bois qui vont bientôt s'enflammer des couleurs exaltées de cette arrière-saison.
Le Chesnay le 26 septembre 2016
Copyright Christian Lepère
L'issue était fatale
mais
une suite
est toujours possible
du moins si on le souhaite.