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13 janvier 2015 2 13 /01 /janvier /2015 08:42
"Ambivalence problématique" - Eau-forte imprimée sur Arches Demi-Jésus - 28 x 39 cm - 1983

"Ambivalence problématique" - Eau-forte imprimée sur Arches Demi-Jésus - 28 x 39 cm - 1983

 

Mea culpa

Je vous avais promis un intermède culturel.

L’actualité m’a rattrapé.

je vais donc vous entretenir

d’un sujet prioritaire.

 

 

 

Fatale rencontre

 

             La vie était belle et Mohammed était content. Par ce beau jour d'hiver un peu frisquet il déambulait à grandes enjambées. A l'aise dans ses baskets, je veux dire ses bottes de motard qu'il s'était procurées sur internet à un prix hyper promotionnel. Dans une fort seyante tenue de baroudeur, noire car ça affine la silhouette, le cou moelleusement protégé par une écharpe en mohair façon léopard et le reste à l'avenant. J'oubliais la cagoule pour protéger les oreilles mais ne nuisant nullement à la visibilité malgré les lunettes réflectorisées défiant  toute tentative de captation du regard. Qui aurait pu dire la couleur de ses yeux ? Qui aurait pu se douter de ce qu'il scrutait ?

             Il allait donc sûr de lui, plein de confiance dans le message du Prophète que lui avait transmis son mollah préféré. Était-ce la version officielle ?  Parole d'évangile, comme aurait dit le Grand Inquisiteur parlant de ses propres convictions ? Peu importe, au moins trois imams l'avaient affirmé au cours de leur prêche à la mosquée du quartier. Et ce de la façon la plus formelle devant tous ses frères réunis. Et tous s'étaient prosternés.

             Enfin pour terminer, avec une confiance inébranlable dans la justice de sa mission, il se déplaçait sans sa Kalachnikov. Sans même son automatique à silencieux pourtant facile à porter dans un vêtement merveilleusement conçu pour abriter l'indispensable. C'était une combinaison munie de nombreuses poches pour tout le nécessaire. Les documents compromettants, le portable volé à un SDF, les préservatifs anti-sida et les menus gadgets qui font le confort de l'homme actuel.

             De toute façon il savait bien qu'une camionnette l'attendait au coin de la prochaine rue et que là son frère d'armes lui remettrait de quoi accomplir sa mission. Car il était en mission dans ces contrées hostiles où vaquait à de futiles occupations un vain peuple d'infidèles. Il était seul dans un monde profane qu'on ne pouvait que souhaiter profaner. Seul pour accomplir sa mission justifiée par l'éthique la plus rigoureuse. Seul pour venger l'honneur du Prophète en le lavant dans le sang de l'incroyant, du provocateur ignare, de la créature indigne vautrée dans sa déchéance. Mais la Parole révélée résonnait en lui et le guidait implacablement.

             Non loin de là Jojo était à son bureau, crayonnant quelque facétieuse caricature mettant en scène le pape et ses proches dans des scènes d'une intimité fort bien imaginée, quoique sujettes à caution sur le plan de la véracité indubitable. Doux rêveur de la B.D. nostalgique du joli Mai 68, libertaire à tout crin et défenseur du droit à dire n'importe quoi au nom de la sacro-sainte liberté d'expression c'était dans l'ensemble un brave homme. Tous ses copains vous l'auraient confirmé. D'ailleurs il n'hésitait jamais à trinquer avec les potes et souhaitait les anniversaires en vous faisant la bise. Honnête selon ses vues, il payait ses impôts et même ses contraventions pour stationnement illicite. C'est dire si il était fréquentable et de bonne compagnie. Depuis longtemps il s'était spécialisé dans un créneau particulier, dénonçant l'imposture. Ça allait de l'opium du peuple à la contestation radicale de tout ce qui à la surface de la planète prétend régenter les comportements humains les plus invétérés. Etait-il anarchiste ? Gauchiste ? Marxiste tendance Groucho ? Ou simplement en besoin de s'affirmer et de traiter avec condescendance tout ce qui aurait pu aliéner son comportement le plus spontanément naturel ? Tout ce qui l'aurait empêché de vivre à sa guise sans se faire trop d'ennemis. Pourtant des ennemis il en avait. Car à tout porter en dérision il arrive que l'on se heurte à de fatales incompréhensions. C'est que tout le monde n'est pas conciliant et si beaucoup préfèrent s'écraser plutôt que de rebondir, il en est d'autres qui ne supportent pas la mise en cause. Pour la simple raison qu'ils ont raison et raison d'avoir raison.

             Enfin la rencontre eut lieu. Entre deux mondes. Entre deux visions unilatérales, entre deux incompréhensions. Que voulez-vous qu’il se passât ? Eh bien très exactement ce qui s’est passé. Et que tout le monde connaît. Ahmed a tué Jojo. Le R.A.I.D. a tué Ahmed. Apprenant ces faits sur BFM TV j’en fus tout triste. Pour ne pas dire abattu. Il ne me restait plus qu’à considérer l’infinie complexité du monde, l’effroyable enchevêtrement des causes et des raisons et l’incontournable enchainement des faits qui tissent nos vies.

             Certes le français moyen buveur de pastis, passant ses congés payés au bord de la mer à jouer à la pétanque va me manquer. Certes la mort du combattant du Prophète va m’attrister. Certes une énorme réaction nationale et internationale contre toute intolérance va un peu me consoler. Mais je ne pourrai m’empêcher de conclure. Je citerai donc à nouveau Alexandre Vialatte, écrivain inclassable et loufoque qui lui-même citait des sources plus traditionnelles pour terminer ses petites histoires édifiantes à dormir debout. Ainsi après avoir déliré gentiment et de façon très docte sur des sujets improbables il lui était coutumier de finir en citant cette maxime de sagesse : « Et c’est ainsi qu’Allah est grand ! ».

             Et je crois bien que c’est le fin mot de la Fin.

 

                                                                   Le Chesnay le 12 janvier 2015

                                                                   Copyright Christian Lepère

 

N.B.    – Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne peut être que fortuite et sans fondement.

               Le droit à la liberté d’inventer est imprescriptible.  

"Ambivalence problématique" - détail

"Ambivalence problématique" - détail

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Sauf événement imprévu et regrettable

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"Van Gogh et Millet"

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