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22 avril 2014 2 22 /04 /avril /2014 06:48
"Les méandres du marécage" - huile sur toile - 46 x 38 cm - 1992

"Les méandres du marécage" - huile sur toile - 46 x 38 cm - 1992

Camp de base

 

           Etablir son camp de base. Nécessité impérative, condition indispensable pour quiconque souhaite sortir un peu des sentiers battus et se lancer dans une expédition hors du commun. L’appel de l’aventure peut commencer à des niveaux très modestes. Dès que l’on envisage de sortir de son trou pour quitter le terrier natal. Mais il faut s’y prendre prudemment.

            D’abord parce que l’on aborde du nouveau, de l’inattendu et que le vaste monde est plein de dangers. Ensuite parce qu’on ne sait jamais…Alors on se prépare, on s’informe et on collecte des informations en se procurant du matériel. Et un beau jour l’expédition peut démarrer. C’est ce que tout le monde fait quand l’occasion se présente depuis tout petit jusqu’à beaucoup plus tard. En fait tout au long de la vie. Inutile d’insister, nous en avons tous plus ou moins l’expérience et la pratique.

            On se prépare à un examen pour poursuivre un cursus. On apprend l’anglais ou le chinois pour aller vivre sous d’autres cieux. Mais il est une aventure qui dépasse l’anecdote des exemples précédents

            Parfois, au cours de la vie et de façon non préméditée, il arrive que monsieur Martin, guichetier à la sécurité sociale ou madame Dupont, infirmière diplômée ressente comme un vague à l’âme. Plus rien ne les satisfait vraiment. Ils ont le blues et ne savent comment le formuler. Leurs proches vont sans doute s’en inquiéter et leur donner des conseils judicieux : « Et si tu allais passer une semaine au Club Med, à Corfou ? Ou si tu changeais de coiffure ? Un peu plus punk ou rose fluo…À moins que le violet déshydraté ne soit plus gothique ? ». Mais vous faites la moue, alors ils vont insister : « Plaque cette pouffiasse, change de copine…Eclates toi sur Facebook…Tu sais qu’il y a des clubs de célibataires exigeants  pouvant combler les besoins basiques les plus légitimes. Et si tu arrêtais de cloper pour vapoter. Ca ça serait classe… ».

            Enfin les conseils les plus pertinents ne manquent pas, mais rien n’y fait. Le malaise est latent, je dirais même persistant. C’est un arrière fond de manque et d’insatisfaction. Et le pire c’est qu’on ne peut pas s’en plaindre. De quoi, au juste puisque tout va comme à l’ordinaire ?

            Mais l’évidence est là, il y a besoin de plus. Faudra-t-il attendre d’être mort pour se prélasser au paradis au risque de s’y ennuyer ferme ? Ou être accueilli au septième ciel par des houris pulpeuses éternellement vierges et accueillantes ? Non, tout cela on n’y croit plus. On n’est pas totalement débiles ! Alors on cherche, on lit, on prospecte et de Socrate à Lao Tseu on se renseigne auprès des spécialistes de l’âme, grands experts en métaphysique et explorateurs des profondeurs abyssales de la psyché. Sur Internet on peut tout consulter de la vie édifiante de saint François d’Assise aux émois mystiques de sainte Thérèse d’Avilla en passant par les transes des chamanes amérindiens et les écrits de Sogyal Rimpoché.

            Tout cela peut faire partie de la prospection en vue de choisir un terrain pour le camp de base. Mais c’est préparatoire et l’on sent bien qu’il faudrait passer à la pratique. Celle qui fatigue et qui met en question. On sent bien qu’il faudrait commencer à perdre ses illusions et ses petites manies qui nous tiennent si chaud au coeur pour dégager un peu le point de vue et commencer à scruter l’horizon. Là bas au loin vers les cimes Himalayennes. A moins que la montagne Sainte Geneviève ne suffise au parisien de souche.

            Mais revenons un peu en arrière. Car il a bien fallu atteindre ce fameux camp de base en progressant et en se frayant une piste. Alors de multiples approches thérapeutiques on pu se révéler utiles, voire indispensables. Après tout c’était l’ambition de Freud et de ses successeurs que de permettre à tout un chacun de régler ses  névroses grandes et petites et autres crispations égotiques pour pouvoir enfin fonctionner normalement dans la vie active et affective..

            Car la chose est avérée : « Qui veut faire l’ange fait la bête » et avant de chercher à aller plus loin, avant de s’élancer à la conquête de l’Everest, il vaut mieux s’être préparé au physique et au moral.

            Quel serait le temps de survie d’un hurluberlu qui se ferait déposer au sommet du Toit du Monde sans préparation par la grâce d’un hélicoptère ? Quelques secondes ? Quelques minutes pour un sportif bien entraîné ? De toute façon ce serait vite terminé ! On n’aurait plus qu’à redescendre la dépouille après l’avoir hélitreuillée. En espérant qu’on ait des préoccupations écologiques et que l’on ne souhaite pas encombrer ces lieux sublimes de cadavres congelés.

            Il faut donc préparer ses arrières avant d’aller de l’avant. Me revient à l’esprit le conseil d’un sage qui répondait à la question posée en public par un brave homme affligé d’une addiction à l’alcool : « Non, ça ne vous interdira pas de progresser… » ; Et puis se tournant vers l’auditoire il avait ajouté : « Mais ne croyez pas qu’en devenant alcoolique vous allez augmenter vos chances… ».

            Alors rien n’empêche d’avoir aussi un peu de superflu dans les réserves du camp de base. Le nécessaire, bien sûr, mais aussi quelques douceurs qui font chaud au cœur. Sans oublier le petit tonneau de rhum comme en portaient les Saint Bernard pour remonter le moral des malheureux perdus dans la tourmente.

 

                                              Le Chesnay le 7 avril 2014

                                              Copyright Christian Lepère

 

 

"Les méandres du marécage"  (détail)

"Les méandres du marécage" (détail)

La suite…

 

Etablir un camp de base est une nécessité

cependant

avec la meilleure volonté on peut encore errer

Et connaître des

« Etats incertains »

(Les aventures de Charles Edouard)

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