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15 novembre 2013 5 15 /11 /novembre /2013 12:56
"Les vagues de la vie" - huile sur toile - 130 x 97 cm - 2008

"Les vagues de la vie" - huile sur toile - 130 x 97 cm - 2008

 

La danza de la realidad

 

            Il y avait des éternités que je n’avais pas mis les pieds dans une salle obscure. Faire la queue et payer pour assister à une illusion d’optique me tentait de moins en moins. Non pas que j’ignorais tout des dernières créations cinématographiques et de ce qu’elles auraient pu m’apporter mais que voulez-vous j’avais d’autres chats à fouetter

            Sans fin la vie est complexe et retorse, elle vous attend au coin de la rue et vous offre à l’improviste des occurrences inespérées, du non prévu sinon de l’imprévisible.

            Il y a peu on m’a appris qu’Alejandro Jodorowsky venait de sortir un film : « La danza de la réalidad ». Depuis bien des lustres je m’intéressais à cet étrange personnage dont la vie était en elle-même un acte poétique, un happening permanent. Lisant des livres et compulsant, mais de façon non compulsive, ses bandes dessinées je m’étais imprégné de son étrange proximité. Son humanité me touchait. Et j’aurais sans doute voulu en savoir plus.

            Tout chez lui me paraissait bon à prendre : Métaphysique, créativité délirante et surtout une chaleureuse humanité. Car Jodorowsky est un des rares de nos semblables qui tienne la bonté pour la qualité essentielle du sage, proche en cela du Dalaï Lama et de quelques autres non moins perspicaces.

            Je me suis donc rendu au Quartier Latin, rue St André des Arts, retrouvant ainsi quelques souvenirs de jeunesse. C’est qu’à vingt ans je hantais déjà les lieux en quête de sens et d’imaginaire, cherchant quelque réconfort dans la chaleur des petits cinoches du quartier.

            Dès la première image il n’y a aucun doute. « La danse de la réalité » est un film inspiré, un film de visionnaire. Dans un univers de rêve rappelant à maints égards celui de Fellini, des personnages archétypiques mais complexes et contradictoires vont s’aimer, s’entre-déchirer, se trahir et se retrouver dans le dérisoire et le sublime.

            Comment rendre compte ? C’est trop complexe et trop ambivalent. Pourtant le fil conducteur est simple. C’est l’histoire d’Alejandro Jodorowsky, jeune chilien qui sous la garde bienveillante de son ange gardien, Jodorowsky le vieux, âgé maintenant de quatre vingt trois ans dévoile pour nous les péripéties invraisemblables qu’ont vécues ses parents et lui-même, à son corps défendant.

            Le film a pour cadre Tocopila, modeste bourgade du nord du Chili. Sur fond de luxe et de misère, d’esclavage et de révolte, de communisme stalinien et de fascisme nazi, le tout enrobé  de catholicisme, de superstitions populaires et de haine raciale. Ajoutez à cela l’éveil de la sensualité  et la liberté des mœurs d’une population pauvre et disparate qui s’arrange très bien de ses habitudes et de ses vices.

            Comme dans toute vie qui ne serait pas niée au nom d’un idéal, l’érotisme est omniprésent. Toutes les formes de sensualité auront droit au chapitre et bien des épisodes feront grincer des dents les freudiens orthodoxes dans la mesure où la transcendance n’est jamais bien loin. Cachée derrière les poubelles, dérivant au fil d’une eau sale au long du caniveau.

            C’est que Jodorowsky est un esprit libre, un de ceux qui savent que pour se libérer il faut oser regarder droit dans les yeux l’horreur qui nous fascine. Et même si c’est de façon métaphorique, mettant en scène des marionnettes dans des décors pour musée Grévin. Les scènes de torture, de coït, de masturbation ou de suicide nous mettront au pied du mur de nos propres abîmes.

            Car l’ambivalence règne partout. L’amour du bourreau pour la victime, l’apitoiement du tueur, l’amour charnel du dictateur pour son merveilleux cheval blanc, mais aussi  la gentillesse angélique qui peut provoquer des drames bien involontaires et vous condamner au rôle de bouc émissaire. Car Jodorowsky est juif ! C’est ce qu’on lui a dit… Quelle aubaine pour des malheureux, des opprimés, des damnés de la terre hurlant leur désespoir et cherchant le coupable pour le châtier. Ainsi dans le lot des turpitudes qu’il a à assumer revient sans cesse la mise à l’index. Etant un autre pour les autres il est pointé du doigt et soupçonné de bien des horreurs. Faire partie du Peuple élu est dangereux. Mais les noirs, les homosexuels, les tziganes et les maghrébins seront bien d’accord, chacun à sa façon, chacun avec ses particularités. Il se trouve d’ailleurs que la maman d’Alejandro est, par malchance, une femme… Ce qui lui fera supporter le machisme de son mari qui, bien que l’aimant tendrement est aussi un marxiste convaincu idolâtrant Staline et risquant sa vie pour abattre le dictateur local.

            Mais que dire encore ? Le film passe en ce moment en exclusivité et il n’est pas du tout certain qu’il devienne un succès grand public. La démagogie n’est pas sa caractéristique essentielle et il n’est pas fait pour les voyeurs. L’érotisme n’y est pas complaisant et si les miroirs vous font peur il vaudrait mieux regarder le foot à la télé. Au moins vous auriez un sujet de conversation avec le voisin de palier.

 

                                                            Le Chesnay le 9 novembre 2013

                                                            Copyright Christian Lepère

 

 

"La fête de la bière" - huile sur toile - 100 x 81 cm - 2010

"La fête de la bière" - huile sur toile - 100 x 81 cm - 2010

Reprenons pied!

 

La prochaine fois,

je vous parlerai du "Gratte papier"

et de ses démélés avec la modernité technique

 

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