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4 octobre 2013 5 04 /10 /octobre /2013 07:07
Détail d'une peinture ancienne revu sur Photoshop

Détail d'une peinture ancienne revu sur Photoshop

 

Le cri du poisson rouge

le soir au fond des bois

 

 

              Il s’appelait Anatole. C’est un beau nom pour un poisson rouge. Enfin rouge c’est vite dit car si cette couleur fondamentale comporte de nombreuses nuances, il ne s’était pas fait faute d’en profiter. Ainsi si ses flancs étaient d’un rouge vif écarlate d’une belle intensité, ses flancs en revanche étaient un peu saumonés et sa queue, toute diaphane et diaprée comportait même des nuances de rose rehaussées de magenta. Il n’était donc ni banal, ni bêtement convenu. Il avait même sa personnalité.

              D’ailleurs son nom n’était p as une vaine fantaisie. Non ! Si madame Michu la concierge du 125 bis rue de Vaugirard l’avait ainsi baptisé c’est qu’elle avait de solides raisons. D’abord elle était veuve, ce qui est compatible avec la mission de veiller sur les locataires d’un immeuble parisien. Ensuite la solitude lui pesait car elle vivait seule après avoir connu les joies et les peines du mariage avec Anatole Michu. Cet excellent homme, retraité de la Compagnie du Gaz avait passé ses derniers beaux jours en compagnie de sa fidèle épouse à s’occuper de son poisson rouge. Car la responsabilité ne lui faisait pas peur et chaque jour, avec persévérance il procurait à son petit compagnon tout l’indispensable : l’eau régénérée par un système adéquat, les daphnies pour la subsistance du corps et l’affection pour les besoins relationnels.

              Anatole avait donc une vie plutôt douce. Depuis tout petit il tournait en rond dans son bocal, se permettant parfois l’improvisation d’un huit ou d’une montée en spirale. Mais dans l’ensemble il s’en tenait à son répertoire de base et son comportement rassurait pleinement celle qui, un beau jour, l’avait fait transiter de son aquarium rectangulaire natal que lui avait imposé le marchand pour le faire arriver dans un bocal rond. Il y avait quand même eu la transition par un sac en plastique plein d’eau, assez traumatisante, mais il s’en était remis et sa jeunesse lui avait fait tout oublier. Il était donc passé du 118 au 125 bis rue de Vaugirard car c’était son destin.

              Si on l’avait questionné sur sa conception du monde, il aurait répondu sans hésiter que certainement celui-ci était rond et plein d’eau tiède avec quand même un petit rocher en bas, quelques algues anémiées et une étoile de mer en plastique. Plus loin parfois on apercevait de vagues formes qu’un autre plus expérimenté et instruit aurait peut-être identifiées comme étant le nez ou l’index de madame Michu ou même la moustache de son époux. Mais il n’en avait cure. Nourri, logé et dénué de désirs compulsionnels il poursuivait son existence sans problème majeur.

              Or, voici qu’un beau jour, enfin peut-être pas si beau que ça, dérivant un peu vite et  négociant mal le virage, il vînt à heurter la paroi du bocal. L’incident ne s’était jamais produit, aussi imaginez sa stupeur en prenant conscience d’une limite. Quoi ? Il y a autre chose et je ne connais pas tout ?

              Dans son angoisse il tenta de pousser un cri pour évacuer le stress. Hélas son gosier n’en était pas capable. Il ne pût pas. Il dût se résigner à faire une bulle. Imaginez un sourd muet réduit à communiquer avec les autres par le seul langage des mains, vous aurez une faible idée de son sentiment d’impuissance. Mais pour symbolique qu’il restait ce cri avorté ne perdit rien de son intensité. Même inaudible et invérifiable avec des instruments de mesure perfectionnés, c’était un cri du cœur. Un de ceux dont l’importance est vitale. Un cri primal diront certains.

              Mais vous allez me reprocher d’avoir mis un titre à ce beau témoignage en parlant du « soir au fond des bois ». J’avoue m’être laissé aller un peu en forçant sur la métaphore. Mais que voulez-vous seule cette image chère au poète était capable de restituer toute l’intensité de la douleur d’Anatole. Alors qu’importe ! Il y a vérité et vérité et l’on sait bien que celle des rapports de gendarmerie ne rend pas compte de toute la subtilité du réel et de l’angoisse métaphysique qui parfois étreint notre âme.

 

                                                            Le Chesnay le 22 septembre 2013

                                                            Copyright Christian Lepère

 

157 - Le cri du poisson rouge

 

Y aura-t-il une suite ?

Par les temps qui courent

allez donc savoir…

 

 

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