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16 novembre 2011 3 16 /11 /novembre /2011 13:22

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                                                                            "Les messagers du soir" - huile sur toile - 61 x 50 cm

 

 

TEMPS INSTABLE

 

                   Un beau soleil doré enflamme la Bourgogne. Les feuillages d’automne chantent en faux-bourdon. Les mille nuances de leurs tons chauds, parsemés de touches encore vertes, du jaune moutarde aux tons plus froids, du gris vert aux accords mordorés créent des harmonies complexes.

                   La nuit a été longue, froide et obscure, suivie d’une aube lente à se lever, baignée de brume épaisse. L’ennui semblait établi à tout jamais enveloppant la campagne d’un voile opaque. Et le miracle s’est produit. D’abord quelques déchirures, de petites lumières qui filtrent puis des lueurs plus intenses inondant les prés gorgés de rosée. Enfin c’est l’explosion vibrante. Tout est vivant, tout s’anime. Le monde émerge de sa torpeur. Tout s’exalte dans la splendeur et la gloire de ces temps de Toussaint et de jour des Morts

                   Lentement je me promène. Chaussé de bottes j’ai mis ma petite laine pour hanter le haut de la colline et déjà je regrette un excès de prudence.

Des rayons acérés transpercent les sous-bois. Comme des lances de lumière ils viennent ciseler quelques détails choisis. Ici une branche morte, là des buissons épineux. Peut-être aussi quelques champignons émergeant des feuilles mortes. Et c’est tout à coup le réveil d’une nature assoupie et qui se laissait engourdir par l’approche de la morte saison. Des souches délabrées dressent les ruines de  leur splendeur passée. Amoncellement des mousses gorgées d’eau, lichens bruns et dorés habillant de leur croissance extravagante les structures brisées des bois décomposés. Des cités fantastiques se révèlent avec leurs clochers, leurs palais, cernés d’un lacis de chemins creux et de sentiers menant à des envolées d’escaliers en spirale. D’étage en étage, toujours plus haut, toujours plus vertigineux.  Un monde gigantesque se déploie et si j’oublie ma taille relative, celle qui, figurant sur mes papiers, fait foi aux yeux des autorités, les détails infimes que j’écrase d’une botte négligente prennent des dimensions fantastiques.

                   D’ailleurs des armées les parcourent, des escadrilles les survolent, des mastodontes y rampent en bavant. Fourmis, punaises et limaces forment le menu peuple qui y trouve refuge et pitance. Comme chez les hommes rien n’est simple et chacun lutte pour survivre à tout prix. Proies et prédateurs se partagent le même terrain de chasse. L’équilibre est précaire et sans cesse réajusté. Et cela dure depuis des éternités.

                   Sous la terre des rhizomes se propagent parmi les racines  des chênes et des résineux. Lentement ils tissent leur toile jusqu’au moment favorable où une pluie abondante et une chaleur propice vont faire surgir comme par miracle les girolles et les cèpes  qui vont attirer les enfants et les chasseurs rentrés bredouille. Munis de paniers, si ce n’est d’intentions écologiques ces derniers vont venir ratisser les sous-bois, piétiner tout ce qui paraît négligeable, (je veux dire tout ce qui n’est pas d’un intérêt alimentaire évident) et écraser ou retourner les champignons jugés peu comestibles, voire néfastes pour la survie.

                   Mais à nouveau le brouillard arrive et s’infiltre. A nouveau il sature les sous-bois, étouffant les bruits, noyant la lumière. Dans une ambiance crépusculaire un froid paralysant s’installe. La vie semble s’éteindre. Plus rien ne bouge. Inquiet le monde animal fait le mort en attendant des jours meilleurs.

Alors je vais rentrer. La maison est bien chauffée, la pompe à chaleur ronronne gentiment et si la nostalgie me cerne, j’ai de quoi distraire mon inquiétude.

                   Mais ne soyons pas pessimiste. Regarder des turpitudes à la télé, se délecter de feuilletons où interminablement et de façon récurrente on nous décrit par le menu les comportements les plus ignobles de sérials murders définitivement récidivistes ou les magouilles politico financières d’entrepreneurs véreux réfugiés dans des paradis fiscaux  pour y blanchir des revenus suspects. Sans oublier les dirigeants démocratiquement élus inquiétés par les initiatives d’une  justice à leurs yeux tatillonne alors que des tyrans avérés continuent d’imposer des lois de leur cru…ne saurait suffire. Toutes ces choses passionnantes  ont des limites. Mais il reste la peinture, la lecture et autres activités de bonne compagnie.

                   Autour de nous le monde va mal. Le monde implose. Bourré de contradictions, gavé de mensonges et d’illusions, cerné par les catastrophes naturelles, il ne cesse de s’autodétruire. Et pendant ce temps, inlassablement la nature fait de son mieux pour que la vie perdure. Mais elle n’est pas non plus paradisiaque et le processus ne se poursuit que parce que les rythmes alternent comme les saisons qui s’équilibrent. Et puis, sans être cynique, la vie n’a pas d’états d’âme. Contrairement à nous ce qui lui importe est simplement de continuer alors que nous tenons tellement à nos acquis en faisant semblant de croire qu’ils nous appartiennent véritablement et sont définitifs.

                   C’est ce que l’on appelle l’identification, source de tous nos problèmes comme a dit le Bouddha. Mais nous ne sommes pas forcés de le croire. D’ailleurs les bouddhistes ont trouvé la parade en émettant ce sage conseil : « Si vous rencontrez le Bouddha, tuez-le ! ». Mais bien sûr pour en arriver là il faut préalablement l’avoir rencontré. Et c’est une autre paire de manches…  

                                                        La Brosse Conge le 3 novembre  2011

                                                        Copyright Christian Lepère

 

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                                                         "Les gens du pays vert" - huile sur toile - 100 x 81 cm                                      

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