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10 juillet 2011 7 10 /07 /juillet /2011 12:35

 

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LA GRANGE

 

                 Derrière le jardin de mon grand-père, passé le vieux mur en pierres moussues, au-delà des ronces et des orties qui griffaient les mollets commençait l'inconnu, les terres lointaines et mystérieuses. Une grange s'y dressait vieille et menaçant ruine. Par habitude on continuait à l'appeler "la maison de la mère Perrin", cette brave femme y ayant terminé des jours paisibles dans la partie centrale vaguement aménagée. Amateurs de confort s'abstenir. Mais au moins c'était la vie au grand air qui peut conserver longtemps ceux qui ont su résister aux intempéries.

                 La bâtisse peu entretenue retournait petit à petit à l'état de nature. Le propriétaire des lieux, agriculteur de son état paraît au plus pressé selon l'inspiration du moment et les idées  inattendues qui venaient le visiter. Se prenant de passion pour l'élevage des sangliers, voilà qu'il créait un parc dans les bois, puis changeant de registre il se mettait à aménager une bergerie avant de remplacer une belle entrée avec arc en plein-cintre par une ouverture rectangulaire plus vaste permettant de faire entrer une charrette pour hisser le foin sous les combles. Et tout cela était réalisé avec les moyens du bord, bricolage, récupérations et usage de la bonne volonté des autres. A charge de revanche. On sait se rendre service à la campagne, mais ce n'est pas toujours du travail de pro. Quant au respect des règlements et de la sécurité...

                 Rêveur, j'étais fasciné par cette bâtisse imposante et vaste qui continuait d'abriter tracteurs vétustes, engins agricoles en fin de carrière et sous les toits d'amples réserves de paille. Ainsi malgré l'interdiction de n'y jamais mettre les pieds et les mains encore moins car c'était plein de dangers, de pièges et de chausse-trapes, mes petits camarades et moi-même étions terriblement attirés par ces lieux pleins de mystère. Parfois la tentation trop forte et des circonstances aussi propices qu'inattendues nous permettaient d'y risquer une expédition à nos risques et périls…Mais il faut bien que jeunesse se passe.

                 Par la suite j'ai continué à côtoyer la grange tout en parcourant les étapes de ma vie. Toujours curieux je notais les changements dans l'évolution du lieu et de ses alentours. D'abord à la date de la construction qui m'était totalement inconnue on avait utilisé des matériaux récupérés. C'était au temps jadis où tout bâtiment menaçant ruine présentait l'aubaine d'une carrière de pierres toutes taillées et prêtes à l'usage. Ainsi au dessus des ouvertures et en certains endroits privilégiés on constatait la présence de pierres joliment façonnées et provenant sans doute de quelque petit édifice religieux, fragments de colonnes et de pilastres.

                 Il est vrai que non loin se dresse la basilique de Vézelay qui, juste avant l'intervention de Viollet le Duc était en voie de disparaître en alimentant gracieusement les chantiers de construction des environs. Mais là au moins le processus avait été stoppé à temps et le bâtiment restauré  à l'identique, mis à part peut-être quelques améliorations du restaurateur qui ne pouvait s'empêcher de faire encore plus roman que roman.

                 Modestement et à part quelques pierres taillées, la grange était constituée de matériaux plus rustiques, à peine équarris et constituant le parement visible des murs. Dessous les murs imposants de quatre vingt dix centimètres d'épaisseur étaient constitués de déblais : sable, caillasse et terre argileuse. Le tout tenant par habitude et conforté par l'effet de masse. Le toit en tuiles bourguignonnes était avantageusement remplacé par endroits par des tôles ondulées cabossées et rouillées et une partie du toit dont la charpente avait suivi le déplacement du pignon qui la soutenait et qui s'inclinait gracieusement du côté où il risquait de tomber avait été refaite en tenant compte de cet aléa. c'est-à-dire de façon souple et créative.

                 J'aurais pu, au fil des ans voir le bâtiment se dégrader et retourner à son origine naturelle, mais l'histoire ne s'arrête pas là. Le propriétaire qui avait promis à mon père de lui vendre un autre terrain et qui selon les coutumes campagnardes avait fait traîner les choses  "Oui, c'est toujours d'accord, mais plus tard, rien ne presse…" avait fini par prendre une autre décision et s'adressant à moi : "Je l'ai promis à ton père, mais si tu veux je te cède à la place le terrain derrière avec la grange…" J'étais pris de court mais aussi assez tenté. Nous nous sommes donc retrouvés propriétaires d'un bien dont nous n'avions pas besoin, mais cela nous évitait de nous retrouver avec de nouveaux voisins qui auraient pu être tentés de réaliser quelque projet d'envergure  apportant des complications à notre existence paisiblement campagnarde.

                 Depuis quarante ans j'ai pratiqué la maçonnerie créative. J'entends par là qu'après avoir fait des allées en pierre, je les avais bordées de petits murs qui avaient pris de la hauteur, avant de me mettre à la construction d'un bassin hors-sol, surplombé par de petites arches. L'étape suivante fut de creuser un grand bassin, enjambé par un pont en pierre, avant de transformer le premier bassin qui s'obstinait à ne pas être étanche en une sorte de grotte surplombée d'une terrasse et d'une petite colonnade. Tout cela étant en cours d'évolution perpétuelle, je m'abstiendrai de conclure pour le moment. C'est un processus évolutif, vivant et qui se développe suivant des lois biologiques que mon intellect ne maîtrise guère.

                 Depuis j'ai entrepris d'empêcher la grange de s'écrouler. Je n'exagère pas, il y a urgence! L'hiver dernier j'ai été assez impressionné par la chute d'un mur. Très épais et en apparence renforcé, il était protégé de la pluie par une tôle ondulée. Pour établir l'état des lieux j'avais retiré cette dernière sans y voir malice, le laissant ainsi sans protection. Alors la pluie a fait son œuvre en pénétrant par le haut pour dissoudre la glaise, faire couler le sable et disjoindre des pierres qui n'attendaient que ça pour suivre leur pente naturelle. Or ce mur servait aussi de soutènement au pignon penché dont j'ai déjà décrit le coupable laisser-aller alors que la toiture repose sur lui.

                 Je suis donc en train d'élever des renforts et de reconstruire le mur, dans les règles de l'art cette fois et en en profitant pour y ouvrir une porte avec arc en plein-cintre. Le tout très rustique ne saurait choquer et en tout cas ne fait pas trop neuf. Ce n'est pas que je me méfie outre mesure des tracasseries administratives, mais il se trouve que l'on est dans le Vézelien et que dans ce territoire protégé les initiatives résolument contemporaines ne sont guère encouragées. Ce dont je suis ravi. Ainsi va la vie qui s'écoule paisiblement au cœur de la Bourgogne.

 

                                                          Sermizelles le 8 juillet 2011-07-08

                                                          Copyright Christian Lepère

 

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