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25 mars 2014 2 25 /03 /mars /2014 08:16
181 - Ici repose

 

Ici repose

 

     D’habitude c’est d’un pas rapide que je longe ce très long mur pour aller à la gare. Il est gris, anonyme et suffisamment haut pour ne pas avouer ce qu’il cache.

         Aujourd’hui pris d’une impulsion vagabonde je suis de l’autre côté, dans le cimetière qu’il circonscrit. Ce n’est pas une révélation, j’y étais déjà venu flânant au cours de mes vagabondages dans les vieux quartiers paisibles de Versailles. C’est par la grande porte que je suis entré, là où un  gardien pointilleux m’avait déjà expliqué qu’il est interdit de prendre des photos sans autorisation spéciale. Or j’avais mitraillé en toute innocence, séduit par le pittoresque de l’endroit et les sculptures d’anges veillant sur les sépultures. Ma bonne mine jointe à une candeur non feinte l’avaient adouci et il m’avait laissé sortir sans autre formalité. Ah le brave homme ! Sans doute le calme méditatif de l’endroit l’avait-il adouci et rendu compatissant. La nature humaine n’est pas si mauvaise tant que les tracasseries administratives ne deviennent pas incontournables pour de pauvres employés municipaux.

         Donc je reviens sur les lieux de mes activités illégales, sans mon piège à pixels, mais avec un petit carnet pour noter quelques détails précis dignes de vieilles archives. Car ce cimetière est fort ancien et rend hommage à la fine fleur de la bourgeoisie et de la noblesse de la ville royale.

Certes de simples citoyens y reposent aussi en paix. Au détour des allées je découvre avec intérêt qu’ici gisent : l’abbé Ber, Lucienne Rat et un peu plus loin mais sans doute sans raison précise  le très basique Alain Mulot.

         Un bon nombre de ces concessions sont à perpétuité, attribuées à une époque où la surpopulation ne sévissant pas on pouvait prendre ses aises et envisager l’éternité avec optimisme. Tout un chacun pouvait alors affirmer : « Inutile d’insister la place est déjà prise ! Place aux jeunes ? Que non ! Ils n’ont qu’à aller voir plus loin si j’y suis ! »

         Hélas depuis tout a bien changé et on en est arrivé à intégrer les lieux de repos définitifs dans l’agitation urbaine la plus débridée. Chacun connaît le cimetière de Montmartre. Coupé et surplombé par une avenue particulièrement hyper active. Mais le bruit monte et en dessous c’est relativement calme.

         Je marche à pas lents dans de vieilles allées aux pavés vétustes et disjoints. L’ambiance est méditative mais il faut aussi veiller à ne pas se tordre une cheville ou à glisser malencontreusement. Comme toujours en ce cas on a utilisé le terrain au maximum, comblant tous les vides et les interstices au fil du temps qui passe. C’est ainsi que pour parvenir à certaines concessions un peu oubliées, il faut franchir si ce n’est piétiner d’autres caveaux  et contourner des pierres tombales usées par les ans, fissurées par le gel et le soleil, parfois même béantes ou basculant sur des profondeurs humides. Ici et là gisent des Christs douloureux. Déjà cruellement crucifiés ils voient la pierre ou la céramique de leurs membres éclater en menus morceaux. Parfois même la carcasse métallique qui leur sert de support, rouillée jusqu’à l’os les abandonne à la dérive. Comme nul n’y prend garde il n’y a qu’à patienter, le temps finira bien par tout dissoudre et réduire en poussière ce qui doit y retourner.

181 - Ici repose

         Mais les Grands Hommes ne sont pas tous au Panthéon. Certains un peu moins glorieux se contentent des honneurs d’un cimetière provincial. Il y a beaucoup de militaires de tous grades. Mais les plus obscurs n’ont pas été forcément les moins héroïques. Pour les accompagner il y a aussi des hommes de pouvoir, élus ou non par le peuple.

         Me voici devant la profession de foi d’un avocat député : « Tout par le Travail – Tout par la Justice – Tout pour la Patrie – Tout pour la République ». Comme je vous le dis ! Alors qu’un peu plus loin on rend hommage à Jean François L. car : « Il eut l’honneur et le courage d’être le maire de Versailles en 1848 ». Ca en impose ! Mais la splendeur des monuments est à la hauteur du mérite. Quelques constructions qu’un esprit obsédé pourrait qualifier de phalliques s’érigent puissamment. Tout en se côtoyant, peut-être pour se tenir chaud ? Ou pour s’élancer vers le même idéal glorieux ?

         Je continue et voici qu’ « Ici gît Jeanne Moreau ». Après vérification elle est née en1901 et décédée en 1990… Ouf ! Me voilà rassuré.

         Il ne me reste plus qu’à quitter ces lieux paisibles. La prochaine fois je passerai de l’autre côté,  à l’ombre du mur et sur le trottoir étroit ou je serai frôlé par les voitures qui s’engouffrent dans ce raccourci qui relie les avenues triomphales du Grand Siècle et leur atmosphère riche en souvenirs glorieux et en émanations de particules fines issues des moteurs diesel. Car même si l’on garde la nostalgie d’un passé, hélas révolu, on n’en reste pas moins résolument contemporain et fier de l’être.

 

                                                 Le Chesnay le 9 mars 2014

                                                 Copyright  Christian Lepère

        

 

181 - Ici repose

La suite

 

Après ces considérations pertinentes sur la vie, la mort et tout ce qui

s’en suit il sera temps d’en tirer des conclusions

provisoirement définitives…

vous aurez donc

droit à :

 

« Tout est relatif »

 

 

 

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