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13 mars 2018 2 13 /03 /mars /2018 12:24
"Vagabond - huile sur panneau - 50 x 30 cm - 1960

"Vagabond - huile sur panneau - 50 x 30 cm - 1960

Souvenirs d’avant

 

Cette peinture a été réalisée en 1960. J’avais alors 18 ans et toute la naïveté de la jeunesse. Peignant pour moi-même sans aucune arrière -pensée de gain ou de notoriété. Je n’envisageai pas de faire carrière.

           Dans un paysage paisible mais un peu nostalgique d’arrière-saison se tiennent deux adolescents. Le plus grand promène la tristesse de sa solitude. Svelte et même efflanqué il est vêtu à l’ancienne comme un vagabond qui aurait trouvé de quoi se vêtir dans la malle poussiéreuses trouvée au fond  d’une grange derrière des débris hétéroclites. Il est d’ailleurs possible que celle-ci figure à l’arrière-plan.

           Pourquoi est-il là ? Sans doute quelque peine de cœur. C’est banal à cet âge. Mais au lieu de réagir en se lançant dans de nouvelles aventures comme font les jeunes qui se disent :  « une de perdue, 10 de retrouvées …» il prend le temps de faire son deuil. Sans doute a-t-il besoin d’autre chose de plus pur et de plus profond. La recherche de l’absolu le guette. La métaphysique sera son jardin secret. Mais pour le moment il erre sans savoir où la vie va le mener.

           Plus discrète la jeune-fille ne cherche pas à attirer l’attention d’un passant. Chez elle nulle coquetterie. Simplement elle attend on ne sait trop quoi. Le prince charmant qui saura l’aimer ? Peut-être mais c’est plus ambigu. Pour le moment sa rêverie lui suffit.

           Vont-ils se rencontrer ? Rien n’est moins sûr. Perdus dans leures pensées Ils ne saisiront pas une occasion qui n’est pas forcément la bonne. Mais on ne le saura jamais. On peut dire en tout cas que ce n’est ni le coup de foudre ni la puissance de l’instinct qui pourrait déclencher la rencontre.

           De la jeune fille je ne sais rien. C’est une image tendre et rêveuse mais triste. Il est vrai que j’ai été élevé dans un milieu où le féminin était assez absent. Je veux dire par là le féminin dont j’avais besoin à un âge tendre. Pas de petite sœur, pas de cousine, pas de voisine de palier et surtout la fréquentation assidue et obligatoire de l’école de garçons, celle des filles pourtant contiguë ouvrant résolument sur une autre rue qui ne faisait pas partie de mon itinéraire. En plus la limite entre les deux écoles était un très haut mur ne laissant rien soupçonner de ce qui se cachait derrière

           Toutes les conditions étaient réunies pour que je compense  e n  m’évadant dans mes rêves et mes fantasmes, ce que ma nature introvertie encourageait sans vergogne. Ajoutez à cela une éducation religieuse, catholique et vous aurez une idée de quoi j’ai dû m’échapper en rencontrant enfin à 19 ans l’élément féminin, à l’ENSET pour devenir professeur d’arts plastiques. Je n’étais peut-être pas le seul dans ce cas, mais sans doute le plus gravement atteint. J’avoue cependant qu’à 14-15 ans j’avais eu contre toute attente une période rock’n roll un peu échevelée dans le cadre des surprises party de l’époque. C’est d’ailleurs ce qui avait été à la base d’une déception amoureuse durable et profonde qui devait ensuite me laisser sur le bas-côté pendant que la vie se précipitait frénétiquement vers son avenir. Mai 68 explose. Tout est chamboulé. Moi aussi bien sûr mais j’observe le bruit et la fureur se déchaîner du haut de ma mansarde dominant la place du marché à Versailles. Le lycée Jules Ferry dont l’annexe de Buc est mon lieu de travail est fermé. Et puis tout se dénoue. Peut-être y a-t-il eu des prises de consciences qui vont faire évoluer la société. Peut-être… 50 ans plus tard les comptes ne sont pas très positifs. On constate des progrès non négligeables pour l’émancipation de la femme, les droits sociaux, mais aussi d’effroyables régressions, ici même dans l’hexagone mais aussi plus loin. La mondialisation est aussi celle du bourrage de crâne et du triomphe du consommateur-roi. Pendant ce temps la planète est agitée de soubresauts de plus en plus graves. Des migrants par vagues successives envahissent l’Europe pour fuir des dictatures ou se laisser attirer par le miroir aux alouettes du paradis de la consommation. Je consomme donc je suis ! l’histoire se répète comme au début du 20ème siècle aux Etats-Unis. C’est à nouveau l’espoir du Nouveau Monde où « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » et bronzé et diverti. Jamais le mythe de la culture libératrice n’a été aussi virulent, à ce détail près qu’on confond culture et divertissement profitable aux multi nationales. Jamais on ne se soucie de l’être vivant que nous sommes qui, avec un corps et un cerveau indispensables et fort utiles est avant tout une âme, je veux dire un psychisme subtil et surtout un cœur qui n’aspire qu’à la paix, la sérénité et pas aux vaines agitations des émotions. Vaines agitations des émotions ? Seriez-vous en train de me surprendre en plein délire ? En train de devenir un intégriste fanatique qui renie le corps et tout ce qui bouge. Un adepte de ces sectes, cathares ou autres dont le seul but était d’échapper au monde du péché originel en attendant la fin du monde évidemment souhaitable de ce point de vue ultime et définitif.

           Que non ! La vie organique est belle. Mais elle se déroule dans ce monde relatif où tout s’équilibre inlassablement. La pluie après le beau temps, la mort faisant impérativement partie de la vie biologique car sans elle tout s’arrêterait immédiatement (nous perdons dix millions de cellules à chaque secondes pour laisser la place à d’autres plus adaptées et si elles oublient de s’autodétruire c’est le cancer, de sinistre réputation, qui prolifère jusqu’à ce que mort s’ensuive pour l’individu. Mais, cerise sur le gâteau, elles se détruisent en même temps. C’est dire l’ambivalence de la Nature et de la Vie.

           Donc les émotions sont un poison mortel, même les plus positives qui  peuvent pourtant se transformer en sentiments infiniment plus souhaitables : la joie, la sérénité, la compassion et même, osons le mot, l’Amour Universel qui transcende tout le reste, agréable et désagréable que nous vivons au jour le jour.

           Mais laissons là le pauvre hère errer. Laissons cette douce enfant baigner dans sa tristesse nostalgique. Nous verrons plus tard ce que le premier est devenu et comment il a échappé à sa morosité. Quant à elle, il est possible qu’elle ait réussi à échapper au sort commun qui attend la plupart de ses semblables : famille, carrière, congés payés et retraite des employés des « Galeries Lafayette » après le très classique « métro-boulot dodo ».Mais toi, mon frère (ou ma sœur) en ton âme et conscience, qu’as-tu fait de ta jeunesse et de ce qui a suivi ? A toi de répondre. Il te reste une semaine pour faire le point. Nous passerons ensuite à la question suivante qui n’aura sans doute aucun rapport. Car ainsi va la vie…

 

                                                          Le Chesnay le 6 mars 2018

                                                          Copyright Christian Lepère  

                                                                                              

"Vagabond" - détails

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381 - Souvenirs d'avant
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Vous voudriez connaître la suite?

L'épisode a eu lieu il y a 52 ans

et les héros de l'histoire

ont pris un coup de vieux.

Mais sait-on jamais, 

peut-être sont-ils encore présentables?

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