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14 juin 2016 2 14 /06 /juin /2016 07:30
"Figure de proue" - huile sur panneau - 32 x 45 cm - 1985

"Figure de proue" - huile sur panneau - 32 x 45 cm - 1985

Mes jeunes années au grand air

 

                C'est à Paris que je suis né pendant la guerre. Compte tenu des circonstances ma mère a préféré nous emmener mon frère et moi à la campagne. C'est donc au grand air de Bourgogne que nous avons été élevés. A l'époque la France profonde n'avait pas encore bénéficié des progrès qui se répandaient dans le monde. Le modernisme restait discret et si l'électricité était arrivée, ce n'était pas encore le cas pour l'eau courante. Ainsi on allait puiser le précieux liquide au puits communal situé à quelque distance et l'on en revenait avec un seau dans chaque main pour assurer l'équilibre et limiter les déplacements.

                Mon père, modeste artisan qui continuait à fabriquer des tuyaux de poêle dans une arrière-cour du passage Ménilmontant, au cœur du onzième arrondissement faisait des aller-retour à vélo pour assurer la subsistance familiale sans se couper des siens. La route était longue mais peu fréquentée et dans l'ensemble assez plate. Donc en partant de bonne heure et en arrivant tard une expédition de 211 km n'avait rien d'exceptionnel pour les braves de cette époque incertaine.

                Depuis le cœur de Paris en passant par la porte d'Italie avant de traverser Melun, Montereau, Sens et Auxerre puis la vallée de la Cure on finissait par arriver à Sermizelles, charmante bourgade complétée par le hameau de La Brosse Conge, situé sur l'autre rive de la rivière. Le but atteint et après un repos réparateur, il n'y avait plus qu'à reprendre son courage à deux mains, saisir le guidon et mobiliser ses mollets pour remonter à Paris.

                Ainsi passait le temps, cahin-caha et sans surprise notoire. Pas de drame en ces temps difficiles ou le monde se convulsait partout ailleurs, jusqu'aux confins de la planète. Bien que rude c'était quand même le bon vieux temps, celui dont on se souviendrait avec nostalgie.

                Un beau jour mon père a décidé de ne plus dépendre de la commune pour étancher notre soif et assurer notre propreté corporelle au quotidien. Après avoir demandé conseil à un expert local il a demandé à un puisatier de creuser dans le jardin, à côté de la maison. Mais cet homme d'expérience, après avoir déblayé la première couche de terre meuble s'est retrouvé face au soubassement calcaire, beaucoup moins accueillant et devant la résistance de l'obstacle, il a décidé de ne pas insister. C'est qu'il n'était pas certain de finir par atteindre une eau dont la présence lui restait hypothétique. Pour lui c'était peut-être, mais pas bien sûr...Enfin ça ne lui paraissait pas jouable.

                A cette époque les clients de l'artisan tôlier parisien ne se pressaient pas. Leurs ressources étaient maigres et l'on préférait bricoler soi-même plutôt que d'investir dans des tuyaux neufs faits sur mesure. L'époque était à la sobriété. C'est ce qui décida mon père à venir creuser le puits dont il ne pouvait déléguer la réalisation à l'homme de l'art. Avec ses modestes moyens, c'est à dire un marteau, des burins et de grandes quantités d'huile de coude il s'est mis au travail. Mais il n'était pas seul ! Pour remonter les déblais  ma mère tournait la manivelle. Sans hâte mais avec opiniâtreté...C'était dur mais en prenant son temps…

                Enfin petit à petit le trou s'approfondissait et l'effort se faisait plus rude car l'espoir restait incertain. Allait-on voir la fin de ce travail de bête fouisseuse qui creuse son trou dans la matière hostile ? Enfin c'est au onzième mètre que l'eau s'est mise à sourdre. D'abord modeste filet elle a rapidement trouvé et élargi son cours pour se transformer en ruisseau souterrain au débit régulier bien suffisant pour subvenir à tous nos besoins. Et ce pour de longues années.

                Mais le progrès nous a rejoints et un jour l'eau de la commune nous est arrivée par des canalisations réglementaires. Finies les corvées pour tirer l'eau du puits ! D'ailleurs le progrès continuait, sûr de son fait puisque ne rien ne peut l'arrêter. Et c'est ainsi qu'une pompe performante m'a permis d'arroser le jardin pendant des années jusqu'à ce que le jardinier qu’était mon frère cesse de s'occuper de ses radis et de ses tomates pour se reposer après une vie bien laborieuse.

 

                                                                      La Brosse Conge le 29 mai 2016

                                                                      Copyright Christian Lepère

                

"Figure de proue" - détail

"Figure de proue" - détail

"Figure de proue" - détail

"Figure de proue" - détail

Il pleut sur la Bourgogne 

et la nature verdoie...

Attendons la suite qui ne saurait tarder.

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