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24 mai 2010 1 24 /05 /mai /2010 15:35

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                                                            "Hommage à Vauban"  -  huile sur bois - 46 x 38 cm

 

 

SOUS LE REGARD DE VAUBAN

LE CENTRE DU MONDE

     Ainsi Salvador Dali s’est trompé, ou bien il a menti. Allez donc savoir. De toute manière il a répandu l’erreur en affirmant que la gare de Perpignan était le centre du monde.

      Certes ce bâtiment ne saurait être tenu pour quantité négligeable et il est vrai que relié à tout le réseau ferroviaire de France et d’ailleurs, il peut émettre quelques prétentions. Cependant la logique a ses lois et le monde, aussi vaste qu’il puisse se présenter à nos sens, ne saurait avoir deux centres. Or, et nous l’avons vérifié depuis bien longtemps, le centre du monde se trouve à Avallon, plus précisément au « Café de l’Europe », au cœur de la ville, face à la statue de Vauban  et plus précisément encore, non pas à la terrasse, terrain d’observation estimable mais quelque peu périphérique, mais dans la salle surélevée de quelques marches dominant cette dernière.

      Aujourd’hui, par chance, une table était libre au centre du centre, au cœur du cœur, en ce point ineffable d’où tout rayonne.

      Ceci, quoique indiscutable, mérite d’être expliqué. Qu’est-ce donc qu’un centre , sinon ce point sans dimensions, inexistant, d’où tout peut être saisi, envisagé et remis à sa place ? Ce point idéal d’où tout peut être vu. D’abord les garçons de café empressés qui, ayant bien pressenti notre position privilégiée n’ont même plus besoin de venir s’enquérir de nos vœux : « Comme d’habitude ? » demandent-ils avec un sourire complice et en toute simplicité nous répondons « oui ! ». Tout superflu élagué nous pouvons ensuite contempler la salle qui nous entoure, rayonnant dans toutes les directions.

      A proximité un groupe de bambins merveilleusement éveillés se goinfrent, aspirent avec des pailles et font les pitres sous le regard attendri de leurs parents. Jusqu’au moment où la fille entreprenant de manœuvrer les stores vénitiens va recevoir une petite fessée pour endiguer ses initiatives.

      Ailleurs des retraités, des touristes, des jeunes, des motards, des campeurs. Toute la faune bariolée de notre beau pays et de ses environs : hollandais blonds, anglais en vacances, allemands en bermudas. Cependant, plus de turcs. Auraient-ils été refoulés pour manque de travail ? Mais des bronzés, des basanés, ainsi que des créatures pâles ou roses, ravissantes et diaphanes.

      Parmi toute cette foule,parfois une figure connue : un copain à nous, un habitué, un pilier de comptoir avec qui nous n’avons même pas besoin d’échanger un coup d’œil complice. Il sait que nous sommes là et qu’ainsi tout est bien.

      Au-delà c’est la rue, la place, le rond-point où virevolte un incessant ballet de véhicules. Où tout converge et d’où tout repart, réorienté selon quelques lois mystérieuses. Des touristes vont et viennent, des chiens traversent, des enfants mangent des glaces et quelques vieux autochtones promènent leur bedaine et leur face rougeoyante de joyeux bourguignons, tandis que d’autres, hagards, traînent leur carcasse vermoulue.

      Non contents de dominer tout ce monde d’un regard circulaire, nous nous offrons le luxe de jouer de son image démultipliée par les reflets des vitres et la réfraction des glaces. Ainsi, telle personne qui s’avance vers nous, se déplace aussi de profil comme un fantôme dans un miroir poli et nous présente simultanément ses arrières par l’effet de quelque mystérieux artifice d’optique. Et tout cela se mélange, se superpose. La petite fille est rouge de l’éclat de la voiture qui passe et sa maman bariolée de fleurs,coupée en huit ; éclatée par le kaléidoscope des portes qui font face aux miroirs, qui reflètent les vitres, qui renvoient les portes…Et tout cela à l’infini et simultanément.

      Repus de couleurs, de lumières et de bruits, nous finissons par quitter le centre. Saturation faite, le plein assuré, nous pouvons retourner chez nous, en attendant demain où nous pourrons à nouveau, pour une somme véritablement modique nous retrouver au poste de contrôle d’où tout part et où tout revient. En vérité le centre du monde.

 

                                                   Sermizelles le 11août 1994

                                                     Copyright Christian Lepère

 

 

 

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