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16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 09:05

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                                                                "Lolita" - huile sur panneau - 46 x 38 cm - 2004

 

 

Marilou et Zarathoustra

  

              « Je ne suis pas d’ici. Je ne suis pas d’ailleurs ! Le monde est ma patrie et je parcours mes terres inlassablement. Foin des autres et de leurs prétentions. Je suis ici chez moi ! ». Ainsi parlait Zarathoustra. Non ! Non ! Pas l’ancien, pas le personnage mythique, pas le héros dont le père est mort fou après avoir tué Dieu … Celui-ci est plus modeste, issu de la classe moyenne, doté de talents discrets et cultivé comme tout un chacun, c'est-à-dire fort peu. Pourquoi se cache-t-il derrière ce pseudonyme éblouissant ? Lui seul le sait. Pourtant sa modestie est manifeste et il n’attire guère l’attention. Son vrai nom est Jean-Pierre selon l’état civil  et Martin son nom de famille. Malgré tout ce jour là, la fin du monde s’étant passée pour le mieux, il se retrouva désoeuvré.

              Ainsi les bras ballants et la démarche aisée il allait le nez au vent. Evitant les voitures en traversant la rue, se gardant de marcher sur les excréments canins, lorgnant les rondeurs tressautantes de quelque jeunesse pratiquant son jogging matinal, dépassant la progression tremblante d’un retraité louvoyant d’un bord à l’autre du trottoir guidé par son chien, il atteignit les grands boulevards. De là il pourrait continuer à traverser Paris, passant d’un quartier à l’autre, d’une atmosphère paisible à une agitation vaine, d’un sérieux provincial à une fébrilité de ville  hyper active.

              Installée à une terrasse Marilou sirotait son petit café. Face à la gare Saint Lazare d’où sa copine devait surgir pour la retrouver afin de lui confier ses dernières confidences sur les péripéties de son prodigieux destin. Le terminal des voies de banlieue se dressait dans toute sa splendeur imposante ; masse de pierre de taille et de métal toute consacrée aux départs et aux arrivées depuis les plus lointaines banlieues. Parfois l’endroit était désert ou presque, si ce n’est un ou deux s.d.f. installés dans leur misère. Et parfois c’était la foule, compacte, bariolée, surgissant comme un troupeau de buffles affolés. A y regarder de plus près la masse se diversifiait et chacun révélait sa nature, ses préoccupations et l’urgence plus ou moins grande des raisons de sa présence en ce lieu de passage obligé. Certains même traînaient la patte ou bloquaient avec leurs valises l’impétuosité du flot. Qu’importe il fallait passer coûte que coûte pour ne pas rater le bus ou voir un taxi vous échapper.

              Et Marilou simple spectatrice se laissait submerger par l’énormité du spectacle. Certes ses pensées sérieuses ou futiles venaient bien interférer avec les sons et les couleurs qui l’assaillaient sans cesse. Mais il lui suffisait de fermer les yeux pour y mettre un terme ou de se brancher sur son portable pour quitter ce monde échevelé. Soumise au spectacle elle pouvait quand même y échapper, mais sans y rien changer.

              Pendant ce temps, de boulevard en boulevard, Jean-Pierre finit par se retrouver dans la proximité de la gare Saint Lazare. Coupant court par quelques ruelles, évitant le flot des grandes artères, il finit par passer devant la terrasse d’une brasserie. Parmi les touristes installés, une jeune personne très contemporaine appelait sur son portable en regardant la gare juste en face d’un œil distrait. Attendait-elle quelqu’un ? Jean-Pierre n’était pas concerné et passa outre en se dirigeant résolument vers. le terminal ferroviaire. C’est qu’il était temps de rentrer chez lui.

              Arrivé enfin à son studio et à son pseudonyme, Zarathoustra se brossa les dents, bu une tasse de thé au jasmin et alla s’installer sur son zafu. Adepte de la méditation à tendance transcendantale il consacrait une partie de ses loisirs à l’investigation intérieure. Voulant en savoir plus sur le pourquoi du comment il se laissa donc couler dans ses propres profondeurs. Comme d’habitude il y parvint. Un court instant. Puis le cirque mental reprit avec son zapping incessant. Des pensées surgissaient, futiles, des émotions et des états d’âme, inopportuns, des images, subliminales et le carrousel des associations sémantiques les plus débiles  telles que : « J’en ai marre – marabout – bout de ficelle – selle de cheval… »

En gros le tout venant, comme d’habitude. Trahi par l’hyper activité de ses neurones il avait beau se dire : « Je ne dois pas penser…Je ne dois pas penser…Je ne dois… » Force lui était de constater qu’il pensait qu’il ne devrait pas penser…

              Marilou commençait à s’impatienter. Déjà de nombreuses cohortes avaient surgi de la sortie de la gare. D’importance et de composition variée, elles trahissaient peut-être la provenance de ceux qui les composaient. Mais le monde est tellement mêlé, comment s’y reconnaître à coup sûr ? Alors : la Garenne Colombe ? La Celle Saint Cloud ? Ou plus loin ? Sa copine venait d’Asnières. Ou plutôt ne venait pas en tout cas dans l’immédiat.

              Désoeuvrée elle était forcée de constater que ni ses pensées, ni ses désirs n’étaient à son service. En fait elle les subissait. Et si par mégarde une opinion politique ou un fantasme fripon se manifestait elle ne pouvait que constater sa présence, comme on constate l’infinie variété des programmes en zappant sur la t.n.t. Du moins peut-on choisir sa chaîne si l’on connaît les programmes. Hélas dans sa tête il n’y avait pas de programmes, pas de « Télé 7 Jours » imprimé sur du papier, indiscutable et concret. Soumise à l’improvisation sauvage de ses circuits neuronaux elle ne pouvait que les voir passer…

              Sur son zafu Zarathoustra s’impatientait. Au lieu de se calmer ses pensées les plus anodines devenaient obsessionnelles, ses pulsions de timides devenaient impératives. C’est clair, il n’était pas maître en sa demeure. A quoi bon continuer ? On ne lutte pas contre un tsunami. On fait le mort ou on se lance à la recherche de quelques distractions. Aller au cinoche ? Ca coûte cher ! Ecouter Léonard Cohen ? C’est sombrer dans la nostalgie… Alors quoi, l’alcool ? Play boy ? Le loto ? L’évasion vers des cieux plus cléments ? Il décida de repartir à Paris. La grande ville saurait bien le prendre dans ses bras.

              C’est ainsi qu’il débarqua à nouveau à Saint Lazare. D’un pas ferme et décidé il traversa le parvis, contourna la coupole translucide qui abrite l’entrée du métro, jeta un vague coup d’œil aux grisâtres valises empilées sur ce lieu par Arman pour égayer l’endroit et donner aux foules des références contemporaines avec la bénédiction du Ministère de la Culture. Puis il traversa la place, évitant de justesse un autobus avant de passer devant la brasserie où il glissa malencontreusement sur un sac en plastique. Déséquilibré il se raccrocha comme il put à l’une des petites tables qu’il entraîna dans sa chute.

              Marilou sursauta violemment, son portable lui avait échappé. Juste au moment où sa copine lui apprenait que le petit chat était mort et que cette triste occurrence avait bouleversé ses projets. Non, elle n’irait pas à Paris et elle le regrettait vivement. « Enfin à un de ces jours, à plus… ».

              Marilou aida Zarathoustra à se relever, ignorant qui il était. Non, rien n’était cassé, plus de peur que de mal… « Allez je vous offre quelque chose pour vous remettre ! » Il accepta tout confus puis entama la conversation. Des points communs se révélèrent bientôt. Une certaine sensibilité écologique et peut-être des préoccupations communes quand à l’avenir de la sociologie analytique et des conséquences néfastes du néo-libéralisme.

              Allons, pour le moment tout va bien. Laissons les faire plus ample connaissance. C’est au destin de donner suite si il le juge souhaitable. Dans l’immédiat laissons les devenir bons amis et puis qui sait, avec  le sage conseil des annonces matrimoniales du « Chasseur Français » peut-être en arriveront-ils au stade du « Et plus si affinités… ».

 

                                                          Le Chesnay le 29 décembre 2012

                                                          Copyright Christian Lepère

 

     407-Propos-choisis--------27-x-22-cm.jpg

                                            "Propos choisis" - huile sur panneau - 27 x 22 cm - 2003

 

 

La semaine prochaine

 

Quelques considérations sur la créativité

et l’élaboration d’œuvres d’art.

Ecrit en mars 2000 ce texte ne m’a pas paru devoir être modifié.

Le voici donc tel quel :

« Confidences d’un électron libre »

 


 

 

 

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