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23 février 2016 2 23 /02 /février /2016 08:40
"L'orée des bois" - huile sur toile - 61 x 50 cm - 1987

"L'orée des bois" - huile sur toile - 61 x 50 cm - 1987

A nous deux Paris !

 

                Ce matin-là il sortit de chez lui. Tout était calme et reposait dans un épais brouillard qui noyait tout le voisinage. Un blanc linceul recouvrait un monde figé. Certes la vie n'était  pas absente mais simplement et en toute discrétion elle marquait la pause. Elle se recueillait sans doute en vue de préparer de printanières exubérances. C'était ainsi. La marmotte se prélassait en son terrier et les graines reposaient sous l'humus tandis que de lents processus végétaux s'acheminaient vers leur éveil.

                C'est à pas lents qu'il s'achemina en direction du parc. Sous un édredon de couleur blanc écru, parmi les taillis ou patientait une végétation en attente. Le monde était sans bruit et comme minéralisé. Tout se tenait coi.

                De rares passants surgissaient de la brume pour s'y dissoudre à nouveau, fugitives apparitions, fantômes flottants dont seul le bruit de pas trahissait la présence. Une silhouette se dessinait, d'abord diffuse puis prenant forme et consistance. Débouchant du vide floconneux un passant venait à sa rencontre. Paisible promeneur ? Retraité du gaz ? Ou jeunesse aguichante emmitouflée dans sa parka ? A moins que ce ne fut un djihadiste se hâtant vers le lieu de ses méfaits où il pourrait déclencher sa ceinture d'explosif avec le maximum d'efficacité, celle qu'on apprécie au nombre d'infidèles neutralisés de façon définitive. Mais en ces temps de frima où tout est emballé dans du polaire, allez donc savoir qui vous croisez... Seule une explosion lointaine pourrait vous avertir du danger que vous venez de côtoyer, à moins qu'au contraire ce ne soient  les effluves d'un air fredonné par une âme limpide et joyeuse vous confirmant que le bonheur existe et qu'il se promène aussi dans le parc.

                Mais lui-même ne faisait que passer et son âme était en accord avec la brume paisible en attendant de se voir plongée dans des activités plus utilitaires, plus strictement contemporaines et même plus aptes à relancer la croissance qui s'obstine à  marquer le pas honteusement. Sans tenir compte des sondages et des statistiques pourtant alarmants.

                Maintenant il se dirigeait vers la gare qu'il vit enfin surgir du brouillard. Voilà qui allait changer l'ambiance. Du rêve cotonneux on débouchait sur le monde hyper actif de l'efficacité et de la prévision. Celui des trains qui vous font monter à Paris, lieu de toutes les activités et de tous les stress. Terre de progrès exubérant et de compétition acharnée. Lieu de tous les délires paroxystiques conduisant droit au burnout, au crash, à la déprime mais aussi à la fortune et à la gloire !

                Pour prendre le train il faut prendre un ticket afin de le composter. Devant cette exigence bureaucratique il fit profil bas et s’apprêtât à se conformer. Un guichet était ouvert offrant le réconfort d'une présence humaine pour l'acquisition du titre de transport. Bien ! Mais une file assez longue laissait présager une attente déraisonnablement longue. Au risque de rater le départ.  Mais tout est prévu ! Trois distributeurs automatiques sont à la disposition des usagers. Cependant le premier était en cours d'utilisation par une dame qui semblait avoir des problèmes. Elle finit par renoncer décrétant que ça ne marchait pas. A son tour il essaya et en effet ça ne marchait pas. Le mécanisme se bloquait. Qu'importe ! Il se dirigea vers le second distributeur devant lequel se trouvait maintenant la première dame. Et à nouveau elle s'énervait car à nouveau ça continuait à dysfonctionner...Ce qu'il put vérifier derechef avant de se retrouver devant le troisième appareil derrière toujours la même personne qui enfin obtint satisfaction ! Lui aussi d'ailleurs et il en fut tout content.

                Mais cela avait pris beaucoup de temps pendant lequel le train était sans doute parti. Mais les horaires peuvent être changés et il n’eut pas à attendre les 30 minutes réglementaires. Ensuite le train prit ses aises. Il s’arrêtait à toutes les stations mêmes les plus négligées ordinairement. Ainsi il fit halte à Pont Cardinet ! Et pour accentuer ses effets il se déplaçait à un rythme paisible avoisinant la nonchalance, démarrant tout en douceur et freinant avec suavité pour éviter tout heurt et ne blesser personne. C’était doux et reposant mais bien indigne d’un accès triomphal à la capitale  dont rêve toute âme bien née.

                « A nous deux maintenant ! » clamait Rastignac débarquant à Paris, ainsi que le décrit Balzac dans sa « Comédie humaine ». Mais ce n’est pas dans cet état d’esprit positif qu’il débarqua avant de se laisser engloutir par le métro qui l’emmènerait au boulot avant de revenir au dodo comme tout ancien soixante-huitard qui connaît ses classiques. Mais il eut entre-temps bien des aventures et des occasions de se faire valoir. Je ne vous importunerai donc pas avec ces menus faits et gestes qui n’intéressent personne d’autre que lui-même. D’ailleurs vous les devinez aussi bien que moi, fréquentant la même époque moderne où tout est possible sans que tout soit forcément souhaitable.

 

                                                                     Le Chesnay le 14 janvier 2016

                                                                     Copyright Christian Lepère

 

"L'orée des bois" - détail

"L'orée des bois" - détail

"L'orée des bois" - détail

"L'orée des bois" - détail

Et le rêve dans tout ça?

Patience!

Il nous attend au loin dans l'au-delà du par-delà.

Mais 

en attendant

il faut gérer le quotidien.

"L'histoire d'un français moyen"

vous en dira tant et plus sur l'humain de base.

 

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