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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 09:28

334-Aux-confins-du-monde-connu.jpg

                                        "Aux confins du monde connu" - eau-forte sur Arches 50 x 65 cm - 1985

 

 

OUI, mais quelle est la question ?

 

              Ce matin là il se leva. Comme d’habitude, sans doute, mais sans grand enthousiasme. Accablé par le gris de ses pensées et l’absence de l’une de ses chaussettes il commença à tourner en rond. L’appartement était exigu. Passant d’une pièce à l’autre puis de l’autre à l’une, il sentit la colère monter, le submerger et le prendre à la gorge. Enfin il fut rassuré. Là, sous le fauteuil la seconde chaussette, noire avec trois liserés blancs attendait qu’on lui portât attention. Enfin il pouvait engloutir son petit déjeuner à la hâte car le temps en avait profité pour s’écouler furtivement.

              Enfin repu et abreuvé il put sortir de chez lui, tout frétillant et rasséréné. L’ascenseur n’était pas en panne. Aucune odeur de friture ne vint faire frémir ses narines. Assoupi l’escalier reposait paisiblement dans sa cage, blotti sous son tapis rouge un peu défraîchi. Les marches déployaient leur spirale en direction des profondeurs ultimes de la cave et la concierge n’était pas dans les étages. De l’intérieur de la cabine il pouvait voir défiler les murs, derrière le vitrage opaque et les grilles en fer forgé.

              Après l’entresol il sortit, passa devant la loge, pressa sur le bouton et la lumière d’un beau jour de printemps l’accueillit. Il était libre ! Sous ses yeux la ville s’étendait, nombreuse et prolifique, avec ses amoncellements d’immeubles, ses rues tortueuses, ses vastes avenues. Au loin le Panthéon rendait hommages aux grands hommes à qui la nation était reconnaissante. Notre Dame adressait sa prière aux cieux et vers Barbès la vie grouillait, multicolore et polymorphe, ethnique et bigarrée. Plus loin vers l’Ouest on pressentait les espaces infinis qui, au-delà des banlieues dorées, menaient vers les étendues incommensurablement plates de la Beauce. Avec les flèches de Chartres s’élançant vers l’azur. Plus loin encore c’était la Normandie et ses vaches paisibles, le Cotentin plus plat et la Bretagne aux confins mystérieux des terres occidentales. Plus loin encore, tout au-delà l’Amérique et son rêve enfiévré.

              Après avoir tourné à gauche, puis à droite, remonté la ruelle en face il arriva sur une petite place cernée de becs de gaz. Au milieu posé avec noblesse à côté de la fontaine Wallace se dressait le kiosque à journaux. Fouillant dans la poche gauche de son anorak il chercha son porte-monnaie. Il y était ! C’est alors qu’un titre lui sauta aux yeux. Pas très gros mais d’une évidence incontournable. Là, sur la couverture de « Science et Vie » il lut : « Y a-t-il une vie avant la mort ? ».

              Déjà d’autres badauds frappés par l’urgence de la question commençaient à se rassembler. Cernant le kiosque leur masse inquiète se coagulait et formait bloc. Jusque là leur vie avait été plutôt paisible. Les aléas de l’existence pourtant nombreux et parfois préoccupants ne les avaient jamais frappés de plein fouet. Ils avaient vécu dans leurs certitudes, dans un monde complexe mais rassurant où l’on sait appeler un chat un chat. Deux guerres mondiales, mai 68, Fukushima, Sarkozy congédié pour aller faire du fric ailleurs, tout cela avait perturbé leur quiétude pour un instant. Mais sans plus.

              Or, maintenant on ne rigolait plus. La question vitale était posée, on ne pouvait plus l’ignorer. Il fallait agir ! Et vite ! Déjà un comité de quartier s’était formé, un président désigné d’office, un secrétaire sommé d’établir un rapport. Et tout un chacun se devait d’apporter un soutient inconditionnel. Police secours arrivait ainsi que le Samu convoqué hélas par erreur.

              Devant l’événement il s’était arrêté, figé sur place, toute pensée anéantie, tout mouvement paralysé. Et cela commençait à durer. Allait- on revivre la Commune ? Allait-on à nouveau s’entre déchirer pour des querelles d’opinion ? Car après tout la réponse à la question restait indécise. C’était une question et chacun se devait d’y répondre en son âme et conscience après avoir soupesé le pour et le contre. Des divergences allaient apparaître et des oppositions se faire jour.

              Alors à bout de force, vacillant dans ses certitudes il réussit à reprendre pied. Toutes ses forces mobilisées, dans un sursaut de tout son être il mit un pied devant l’autre, puis un autre, puis un autre. Enfin il atteignit la boulangerie. Là, d’une voix forte et assurée il s’adressa à Mélanie, jeune personne charmante et délurée et lui demanda sans hésiter « Une baguette bien cuite et deux croissants, s’il vous plait ! ». Comme d’habitude ? Rétorqua-t-elle d’un air taquin. Puis de sa démarche souple et lascive elle alla quérir la demande.

              Après avoir payé il sortit. Au loin s’étendait la ville. Ici était son destin. Alors il put rentrer chez lui. Ouf ! Il l’avait échappé belle !

 

                                                        Le Chesnay le 15  septembre 2012 

                                                        Copyright Christian Lepère 

 

291-Merci-pour-le-detour.jpg

                                        "Merci pour le détour" - eau-forte imprimée sur papier Arches - 1980

 

 

Prochain épisode

  

Les grandes questions se posent, obstinément,

  l’arrière saison en profite pour déployer sa nostalgie.

Excusez moi si j’ai du vague à l’âme.

Ca va passer.

Alors rendez-vous pour

«  Au-delà du Champ du Feu »

Avant de reprendre avec des thèmes plus primesautiers. 

 

 

 

 

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