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22 mars 2016 2 22 /03 /mars /2016 07:17
 "Souvenir gris" - eau-forte imprimée sur papier  Arches format demi-Jésus - 1963

"Souvenir gris" - eau-forte imprimée sur papier Arches format demi-Jésus - 1963

Ambivalence problématique

et concept à la carte

 

               Le monde est infiniment vaste et subtil et complexe et enchevêtré. Zappez sur votre télé, vous m'en direz des nouvelles. Mais cela laisse-t-il place à un soupçon de hasard ou à une indétermination qui permettrait de faire changer le cours des choses ? Je vous entends déjà rétorquer que justement votre libre arbitre le permet puisque entre plusieurs solutions disponibles il vous permet de choisir et pas uniquement entre la peste et le choléra. Non ! Vous pouvez aussi choisir de vous goberger ou de sombrer dans la fainéantise ! C'est indéniable. Cependant...votre choix est-il libre ? Peut-il échapper à toute détermination, être libre de toute contrainte acceptée ou rejetée avec force. D'ailleurs pourquoi allez-vous refuser ce qu'un autre accepterait avec empressement ? Êtes-vous plus libre en luttant jusqu'à la mort sur les barricades qu'en acceptant de vous rallier à la majorité bien-pensante ?

               Soyons honnêtes. Même nos vœux les plus chers, les plus strictement personnels et les plus intimes dépendent de ce que l'on est devenu en suivant le cours de la vie qui nous a façonnés. L'hérédité qui détermine la morphologie et le caractère, les formatages de l'éducation reçue, l'influence du milieu et le besoin vital de conformisme font de nous ce que nous sommes et qui continue d'évoluer jusqu'à la fin de la pièce, jusqu'au final avant de s'éclipser dans les coulisses de la vie.

               Tout cela nous conduit irrémédiablement à prendre des décisions. A opter pour des positions infiniment variées et contradictoires comme la complexité de ce qui les détermine.

               Le monde est multiple et tout s'y passe de façon souvent surprenante, je veux dire inattendue au regard de nos modestes tentatives de prévision et de contrôle.

               Un conducteur alcoolisé grille un stop. Ce n'est pas une fantaisie ou une initiative délibérée de sa part, c'est le résultat de toute sa vie, celle qu'il vient de mener dans les minutes, les heures, voire les années qui ont précédé. Le problème est qu'il va heurter un car de ramassage scolaire qui passait par là chargé de collégiens  dont l'avenir va être compromis, voire supprimé. Mais c'est aussi le résultat sinon logique, du moins implacable, d'enchaînement de causes et d'effets. Le problème est que tout cela n'est pas linéaire, car dans ce cas on pourrait prévoir plus aisément. Mais c'est comme pour la météo dont les prévisions les plus probables ne sont jamais certaines, jamais pile-poil. Et ce, quel que soit le nombre de paramètres entrant dans les calculs prévisionnels.

               Aucun ordinateur au monde ne pourra jamais prévoir le battement d'aile du papillon dans la forêt Amazonienne qui, de fil en aiguille, de proie en prédateur et de moustique tigre en femme enceinte contaminée finira par déclencher une pandémie qui a son tour va provoquer une panique augmentant le nombre de long courriers traversant l'Atlantique et contribuant à réchauffer le climat, même si c'est de façon discrète.  C'est pourquoi l'anticyclone des Açores va subir de légères distorsions jouant directement sur l'abondance de neige et donc le taux de fréquentation des stations alpines pendant les vacances de février. Et bien entendu c'est pour ne pas vous lasser que je vais m'arrêter là car la vie continue sans relâche, sans marquer ni trêve ni repos

               Mais revenons-en au quotidien. Bertrand a rendez-vous avec sa copine. Il doit la retrouver au troquet du coin. Sans trop savoir pourquoi il s'est installé commodément non-loin de l'entrée. Il peut ainsi surveiller la rue et tout ce qui s'y passe à travers la vitrine, mais aussi profitant du jeu des reflets voir aussi ce qui se passe à l'intérieur. Il a vue sur le bar et en se penchant légèrement à droite contrôle à la fois  la caisse et la caissière. A gauche il sait qui va aux toilettes et qui est en train de faire son loto. Il occupe donc une place privilégiée d'où rien ne saurait lui échapper. Rien, sauf l'imprévisible.

               Quand Marie-Adélaïde sa petite amie sténodactylo bilingue est arrivée toute essoufflée après avoir raté son bus et poursuivi  en courant sur sa lancée elle n'était pas d'humeur paisible. Pourtant elle venait avec de bonnes intentions. Son horoscope lui avait prédit du positif, un favorable ascendant scorpion  et une auspicieuse conjonction  d'autres signes auxquels je ne comprends rien, sauf que le second décan lui serait bénéfique sur le plan de l'affectivité.

               Mais en arrivant elle trébuche et manque de s'étaler sur un sol douteux parsemé de mégots dont certains sont pleins de rouge à lèvres, sous les yeux impuissants de Bertrand. Adepte de kung-fu celui-ci réagit avec promptitude. Son bras jaillit tel l'éclair. Hélas ! Il n'a pas maîtrisé tous les paramètres et il renverse son expresso ! Son tee shirt fuchsia est tout taché et ses mains sont maculées. La conséquence en sera des empreintes digitales suspectes sur le col du chemisier de la dactylo bilingue. Dieu merci les conséquences ne seront pas fatales. Marie-Adélaïde en sera quitte pour une bouffée d'adrénaline plutôt revigorante. Mais songez qu’elle ait eu une attaque, que son tendre cœur de midinette n’ait pas supporté le choc, qu’elle soit tombée raide morte. Et voilà Bertrand soupçonné d’avoir mal agi, d’être la cause du drame. Ses empreintes font de lui un suspect de première ligne. Mais le garçon qui venait de le servir sera peut-être témoin à décharge. Car il a tout enregistré d’un coup d’œil professionnel. Ce n’est pas comme ce malheureux chômeur qui à quelques tables cherchait des offres d’emploi dans les petites annonces et que l’effervescence a fait sursauter. Lui au moins a vu dans le reflet de la glace sur la vitrine et il est certain. Le visage de Bertrand au moment où Marie-Adélaïde est tombée a eu un rictus de cruauté qui en dit long…En fait sans en avoir l’air le monstre attendait son heure. D’évidence il avait attiré sa victime dans un guet-apens, Dieu sait par quel subterfuge et pour assouvir quel désir de vengeance, passionnel évidemment. D’ailleurs les empreintes, les siennes, pas celles d’un tiers anonyme, maculaient le col du chemisier là précisément où il est facile de serrer très fort jusqu’à ce que mort s’ensuive.

               Naturellement tout s’est passé très vite. Pas assez cependant pour que la cervelle enfiévrée du chômeur n’ait le temps d’être submergée par des images subliminales issues de ses films noirs favoris. Certes il n’avait jamais lui-même perpétré de crime mais il en avait vu tant et tant sur le petit écran qu’on ne pouvait le soupçonner de candeur naïve. Ce qu’il n’avait pas vu, il le subodorait, il en était sûr et certain. Sa conviction était faite et prête à devenir opérationnelle dans un procès d’assises.

               Mais tout cela importe peu car ça s’est très bien terminé et qu’après s’être lavé les mains aux toilettes Bertrand a pu offrir un excellent expresso à sa copine en en profitant lui-même pour se requinquer.

               Et tout est bien qui finit bien. A ce détail près que rien n’est jamais terminé et que bien d’autres péripéties peuvent toujours faire suite à ce qui n’a jamais été qu’un épisode d’une très,  très longue histoire.

 

                                                        Le Chesnay le 5 mars 2016

                                                        Copyright Christian Lepère

"Souvenir gris" - détail

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Et la prochaine fois nous continuerons            

de régresser

si votre subconscient n'y voit pas d'inconvénient.

 

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